©️TRAIL! (réédition Avril 2023).
"Quand vous êtes fatigués, courez lentement. Aussi lentement qu’une vieille dame avec ses cabas puisse vous dépasser..."- Arthur Lydiard
L’apparition de moyens de locomotion mécanisés a certainement fait disparaître la nécessité pour l’homme d’utiliser ses capacités d’endurance. Cependant, certaines études ont permis d’explorer les capacités physiologiques « extrêmes » d’endurance de l’homme, et notamment les limites de l’endurance humaine.
Ainsi, les explorateurs polaires du début du XXe siècle parcouraient plus de 2 500 km en 160 jours, dans des conditions météorologiques souvent désastreuses. On s’est alors rendu compte des possibilités impressionnantes d’adaptation de l’Homme et de sa qualité à pouvoir tenir longtemps un effort modéré, avec des ressources mentales parfois insoupçonnées.
L’avènement récent et exponentiel de la pratique du trail et de l’ultra-trail est donc en quelque sorte un petit retour en arrière, car il oblige à s’intéresser de nouveau aux effets des parcours parfois ahurissants en matière de kilométrage et de dénivelé sur l’organisme, ainsi qu’aux allures de plus en plus soutenues.
La qualité d’endurance, qu’elle soit physique ou mentale, revient donc sur le devant de la scène, sans que l’on connaisse réellement son champ d’action ni, surtout, ses effets.
L’entraînement en trail consiste en une répétition de sorties et d’exercices hebdomadaires ou quotidiens. En ce sens, il induit une adaptation des fonctions cardiovasculaires et respiratoires (augmentation de la demande énergétique) et contribue donc à améliorer les qualités d’endurance.
On s’aperçoit également que les thématiques d’intensité, de renforcement musculaire et d’alimentation sont fortement liées à l’endurance.
En effet :
L’interval Training (IT) est une méthode très efficace pour développer l’endurance en s’appuyant sur la vitesse à VO2max (vVO2max), le temps limite ou les accélérations-décélérations comme proposées dans nos séances de Jerk.
Le renforcement musculaire permet également d’optimiser la performance aérobie, car il engendre des adaptations nerveuses et structurelles (amélioration de l’activation du muscle et de son recrutement, synchronisation des unités motrices).
L’alimentation, quant à elle, doit permettre d’habituer l’organisme à puiser dans les divers substrats, tout en économisant au maximum ses réserves utiles : amélioration de la lipolyse, adaptation à la déplétion glycogénique et protéique.
C'est quoi l'ENDURANCE ?
Il existe diverses formes d’endurance, et il est nécessaire d’en définir une qui puisse nous éclairer dans une démarche d’entraînement. En fait, la notion d’endurance est une notion mal interprétée. En effet, au premier abord, elle semble extrêmement simple, car elle renvoie à des souvenirs personnels, tels que le traditionnel cycle d’endurance à l’école, ou à des sports où l’on produit un effort prolongé, comme le vélo ou le ski de fond.
On associe donc l’endurance au métabolisme aérobie, c’est-à-dire au transport de l’oxygène des poumons jusqu’aux muscles, or elle ne se limite pas à ce schéma, car d’un point de vue théorique, nous pouvons améliorer notre endurance en adoptant diverses stratégies :
en élevant le plus possible le niveau d’énergie utilisée pour une durée donnée ;
en augmentant la quantité totale d’énergie disponible ;
en augmentant le temps limite (pourcentage de la puissance maximale) ;
en augmentant le travail mécanique utile fourni pour un même niveau de dépense énergétique.
En résumé, tous les types de motricité, tous les types énergétiques se caractérisent par un niveau d’endurance. Pour le trail, la définition de Jürgen Weineck (1992) nous semble la plus proche de la réalité, car il avance que « l’endurance est considérée, en général, comme la capacité psychique et physique que possède l’athlète à résister à la fatigue. »
Endurance globale et endurance locale
Toutefois, si l’endurance constitue une entité générique, elle met en jeu des paramètres relativement indépendants les uns des autres sur le plan physiologique.
On distingue en particulier deux formes élémentaires d’endurance :
l’endurance globale, s’il y a un recrutement d’au moins deux tiers des masses musculaires ;
l’endurance locale, lorsqu’au moins un tiers des masses musculaires est sollicité.
Cependant, selon Scott Johnston, ex-athlète de haut niveau de natation et de ski de fond, entraîneur et auteur de Training for the New Alpinism et Training for the Uphill athlete, il est nécessaire de nuancer fortement cette affirmation.
En effet, d’après lui, « les circuits HIIT ou High Intensity ont certes un effet d’endurance locale [LME, en anglais], mais fortement limité par l’endurance globale de l’athlète ! »
Ainsi, même s’il joue un rôle important dans la préparation des athlètes d’endurance, l’entraînement à haute intensité doit toujours « compléter », « suppléer », et non « remplacer » l’entraînement aérobie de basse intensité. En fait, selon Scott Johnston, la presse spécialisée tend souvent à mettre en avant le « modèle » inverse.
Un entraînement en endurance locale est conçu pour que la limite d’endurance soit atteinte au niveau des cellules musculaires locales. On peut l’améliorer en ajoutant du poids, de la résistance, de l’hyper gravité, afin que la capacité de travail soit une masse musculaire relativement petite (d’où le terme employé d’endurance locale).
Dans ces séances d’entraînement, la limitation locale de la fatigue doit être si élevée que la fréquence cardiaque et la respiration restent relativement basses, à l’inverse d’un entraînement sur circuit à haute intensité, qui est conçu pour provoquer un effet d’endurance dit global, où la limite de la capacité de travail est la capacité du muscle cardiaque (d’où le nom « cardio ») pour fournir de l’oxygène à une masse musculaire beaucoup plus grande.
Avantage de l’entraînement en endurance locale
L’entraînement en endurance locale provoque des adaptations musculaires du fait des stimulations répétées du muscle et entraîne :
Une augmentation des fibres lentes (ou ST) : cette augmentation de la surface de la section peut aller jusqu’à 25 % selon l’intensité et la durée de la période d’entraînement.
Une augmentation du nombre de capillaires par fibre musculaire (densité capillaire) : cette capillarisation, qui peut aller jusqu’à 15 % après un entraînement long et assez poussé, augmente la surface disponible pour les échanges gazeux entre le sang et les muscles qui travaillent, mais améliore également les transferts de chaleur et les nutriments.
Une augmentation de la myoglobine de 75 % à 80 % (molécule qui fixe l’oxygène).
Une augmentation du nombre et de la taille des mitochondries : la production d’énergie d’origine aérobie a lieu dans les mitochondries. L’entraînement en endurance provoque donc des adaptations à leur niveau, qui améliorent la capacité des fibres musculaires à produire la véritable source d’énergie : l’ATP. Bien sûr, cela dépend du nombre, de la taille et de l’efficience de ces mitochondries. Et l’entraînement en endurance va permettre d’améliorer tous ces facteurs.
Une amélioration du fonctionnement des processus oxydatifs (enzymes notamment).
Courir facile, pourquoi ?
« Une des supériorités apportées par la bipédie est la capacité de contrôler son souffle à sa guise, alors que celui d’un quadrupède dépend pour respirer du rythme de ses foulées, ce qui lui donne moins d’endurance. » Alain Froment
Le Docteur Henderson explique que l’entraînement long et lent n’est pas qu’une simple méthode d’entraînement, c’est toute une conception du sport. Ceux qui l’ont employé prétendent que la course sous toutes ses formes est aussi un amusement.
Plus récemment, les recherches de Stephen Seiler, Professeur en sciences du sport à l’Université d’Agder (Norvège), nous amènent à percevoir l’intérêt de cette méthode dans le modèle d’entraînement polarisé. Il parle ainsi de « trou noir », qui s’explique par le fait que les athlètes écartent leur entraînement du centre, en privilégiant soit le travail à haute intensité, au-dessus du seuil ventilatoire 2 (SV2), soit le travail en endurance pure, c’est-à-dire au-dessous du seuil ventilatoire 1 (SV1).
L’entraînement polarisé se résume donc à courir à 80 % en basse intensité et à 20 % à haute intensité. En s’entraînant de la sorte, on évite la zone d’intensité moyenne, qui produit beaucoup de fatigue et peu de progression.
Mais en fait, pourquoi vous demander de courir à allure faible en cherchant une certaine facilité ?
Pour cela, il faut justement donner la parole au Professeur Stephen Seiler, qui a vraiment popularisé cette méthode : « j’ai assisté à l’entraînement de course à pied, en forêt, de certaines athlètes d’endurance (équipe de ski de fond, entre autres), dont certaines avaient un niveau international. L’une d’entre elles, possédant un VO2max supérieur à 60ml/mn/kg, m’a stupéfait... Alors qu’elle courait tranquillement, elle arrive au pied d’une petite pente, et c’est alors qu’elle stoppe et se met à marcher, alors qu’elle aurait pu facilement passer cette côte en courant ! Je m’adresse à l’entraîneur qui se trouve à côté de moi et lui demande pourquoi elle s’est mise à marcher, alors qu’elle pouvait largement courir. Et l’entraîneur m’a répondu : “l’objectif de la séance du jour est de ne pas faire monter les lactates.” Et d’ajouter : “chez vous, aux USA, vous avez tendance à travailler beaucoup trop les intensités proches du seuil 2, et vous vous trompez.»
On est bien d’accord, cette composante métabolique de l’entraînement n’est pas la seule composante (il existe aussi les composantes mécaniques, musculaires, psychologiques, etc.), mais elle demeure quand même une composante majeure pour les efforts d’une durée supérieure à deux minutes (moment où le système aérobie devient prépondérant).
Dans le même sens, Scott Johnston et Steve House (qui collaborent avec Kilian Jornet) nous mettent constamment en garde contre cette sacro-sainte pensée selon laquelle l’entraî- nement régulier de haute intensité (entraînement sexy, grisant, impressionnant et bien adapté aux réseaux sociaux) constitue la clé secrète de la performance dans les disciplines d’endurance. C’est un énorme leurre, et il n’y a pas de raccourcis, nous martèlent-ils. L’entraînement de haute intensité doit compléter, mais surtout pas remplacer l’entraînement de basse intensité.
Et si nous évoquions également le Français Serge Cottereau et ce qu’il nous dit dans son livre Bien être et jogging à propos de l’endurance ?:
« Si vous en voyez qui vous dépassent, il ne faut pas que cela vous influence. Faites ce que vous avez à faire. Peut-être sont-ils plus entraînés, depuis plus longtemps, plus doués, ou bien qu’ils commettent tout simplement l’erreur de faire leur entraînement trop vite ; c’est tellement fréquent. »
Sur ce sujet, le célèbre Néo-Zélandais Arthur Lydiard tenait ces propos : « en course à pied, la première chose à retenir est que si vous n’avez pas le temps de vous entraîner, la dernière chose à faire est de travailler les fractionnés, autrement dit les séances intenses et rapides. [...] Donc entraînez-vous, mais ne vous épuisez pas. » (« Train don’t strain. »).
Quand vous êtes fatigués, courez lentement (facile). Aussi lentement qu’une vieille dame avec ses cabas puisse vous dépasser...
Le fameux entraîneur italien Renato Canova va aussi dans ce sens quand il répond sur une éventuelle recette magique de l’entraînement : « beaucoup de gens souhaitent avoir des conseils qui les rendent meilleurs en quelques semaines seulement. Vous voulez des entraî- nements magiques qui vous permettront d’obtenir des résultats plus rapides en quelques semaines ? Non, mes amis, l’entraînement ne fonctionne pas comme ça. » Il insiste d’ailleurs sur la patience à cultiver. Pour lui, « patience et longueur de temps font plus que force ni que rage. »
Il attribue ainsi cette phrase à l’un des plus grands champions de course à pied, Haile Gebrselassie :"vous ne pouvez pas construire une maison sans fondations. » En fait, Haile possède un gratte-ciel de 60 étages, un sportif normal une « maison » de 10 étages, et un coureur récréatif une de 3 étages, mais dans tous les cas, cela prendra 10 ans pour tout construire en augmentant le volume et l’intensité au cours de cette période."
Pour finir, Stephen Seiler nous explique souvent ceci : « la discipline dont font preuve les athlètes de haut niveau dans les sessions “faciles” est ce qui manque cruellement aux coureurs récréatifs. Les premiers ne se laissent aucunement perturber ou tenter par ceux ou celles qui les dépasseraient pendant ces séances, alors que les seconds se font avoir par leurs égos “démesurés”.
L’acceptation d’un faible niveau en endurance (caractérisé par exemple par la nécessité de ralentir voire marcher) est quelque chose de presque impossible pour certains, alors que le processus de compréhension de l’entraînement d’endurance est un processus long qui demande... de l’endurance. Donc au lieu de perdre beaucoup de temps à faire beaucoup d’erreurs, à se griller, voire à se blesser (même si les sensations de courir vite sont très agréables, nous y reviendrons), il est bon, parfois, de prendre l’attitude de l’homme qui est “plus sage que le sage lui-même, car l’Homme sage apprend de ses erreurs. L’homme plus sage apprend des erreurs des autres.” »
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Cet article est issu de la prochaine réédition du livre TRAIL ! (Guide ultime de 560 pages) en avril 2023
Cette nouvelle édition de TRAIL ! a été revisitée et complétée par Éric LACROIX, afin d’éclairer les lecteurs sur les nouvelles tendances dans la pratique du trail et de l’ultra trail, notamment avec l’approche des neurosciences et du développement personnel.
Comme proposés dans les tomes 1 et 2 précédents, les dessins de l’illustrateur Matthieu FORRICHON de « Des Bosses et des bulles » viennent agréger une belle prise de distance, réflexive et humoristique.
Points forts:
- Compréhension des principes d’entraînement du trail, et mises en œuvre pratiques
- Arguments étoffés par des recherches scientifiques
- Thématiques diverses liées à la pratique
- Plannings d’entraînements sur diverses distances
- Illustrations par « Des bosses et des bulles »
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