Par Fred GRAPPE, Maître de conférences HDR, UPFR Sports, Université de Franche-Comté. Membre du Laboratoire C3S (Culture, Sport, Santé, Société).
La performance sportive s’exprime à partir de la capacité de performance maximale que l’athlète est en mesure de produire en fonction d’éléments extérieurs et des impondérables. La capacité de performance maximale représente l’association du potentiel physique maximal et de la force mentale maximale de l’athlète.
Ainsi, le champion est rare parce qu’il possède un potentiel physique important capable d’être activé à partir d’une force mentale supérieure. C’est ce qui explique sa rareté dans chaque sport.
La performance sportive peut s’exprimer sous la forme d’un classement, d’une distance, d’un temps ou d’un résultat, le plus souvent lors d’une compétition. Mais elle peut également s’exprimer lors d’épreuves de masse (ou de loisir) qui sont de plus en plus populaires et au cours desquelles les individus se battent essentiellement contre eux-mêmes pour aller chercher le maximum de leur capacité..
La performance sportive résulte du résultat d’un processus assez complexe qui met en œuvre différentes étapes du système d’entraînement. Tous les facteurs déterminants doivent être connus et intégrés dans ce processus pour que la performance établie soit la plus proche possible du maximum espéré, le tout en complète interaction avec milieu.
Comme l’explique Edgar Morin (Morin, 1999, p. 2) :
« L’être humain est à la fois physique, biologique, psychique, culturel, social historique ».
Ce qui explique toute la complexité de l’athlète qui doit s’intégrer, de façon rationnelle, dans un processus de programmation d’entraînement ayant comme objectif principal l’accession à la meilleure performance possible en compétition.
I . L’écologie sportive
L’établissement d’une performance n’est possible qu’à partir d’une régulation optimale des différents systèmes fonctionnels qui interagissent avec la meilleure synergie possible pour produire de l’énergie mécanique, le tout avec la mise en place d’une stratégie de gestion de l’effort contrôlée par le système nerveux central selon un processus de téléoanticipation (Ulmer, 1996 ; St Clair Gibson et al., 1986).
Ce mode de fonctionnement peut faire référence à l’écologie sportive puisque l’athlète évolue constamment en interaction avec le milieu extérieur, les autres et en contrôle avec lui-même. « L’écologie de l’action c’est en somme tenir compte de la complexité qu’elle suppose, c’est-à-dire aléa, hasard, initiative, décision, inattendu, imprévu, conscience des dérives et des transformations » (Morin 1990 ; Morin, 1999, p. 47).
La performance s’établit généralement, quel que soit le sport pratiqué, à partir d’un certain nombre d’actions. La somme combinée des différentes actions conduit à un résultat plus où moins attendu qui détermine un résultat global. Or, produire de l’action n’est pas anodin car l’individu se trouve constamment confronté aux réponses que lui renvoient le milieu extérieur et les autres. Il doit faire preuve d’adaptabilité.
« Dès qu’un individu entreprend une action, quelle qu’elle soit, celle-ci commence à échapper à ses intentions. Cette action entre dans un univers d’interactions et c’est finalement l’environnement qui s’en saisit dans un sens qui peut devenir contraire à l’intention initiale » (Morin, 1999, p. 47).
II . L’athlète, une boîte noire
On peut assimiler l’athlète à une sorte de boîte noire qui renferme une multitude d’informations. Cette boîte noire demande à être ouverte, découverte, comprise et analysée par l’entraîneur afin d’appréhender la nature du fonctionnement intrinsèque du sportif.
Pour améliorer son potentiel physique, ce dernier doit travailler à partir d’un programme d’entraînement adapté et rationnel visant à stimuler dans la plus parfaite symbiose les différents systèmes fonctionnels de l’organisme.
Dans un premier temps, les différents stimuli d’entraînement vont avoir pour effet de les désadapter. Ensuite, après une période d’assimilation optimale, les systèmes vont être capables de fonctionner à un niveau supérieur. Ce processus de désadaptation-adaptation permet d’améliorer le potentiel physique pour établir une performance sportive.
Toutefois, tout n’est pas si simple. En effet, lorsque l’athlète travaille à partir de stimuli élevés, il se désadapte mais parallèlement il fatigue. Il n’existe pas d’adaptation sans fatigue.
Cette dernière se manifeste de différentes façons : aux niveaux périphérique, central et général. Ainsi, avec la succession des charges d’entraînement, le potentiel physique s’accroît rapidement en début de cycle grâce à une grande plasticité de l’organisme qui est capable, de par sa fraîcheur, d’assimiler rapidement les premières charges de travail. Mais, en fin de cycle, avec des stimuli plus importants, l’organisme fatigue de plus en plus avant d’assimiler complètement ces charges. Durant cette période, le potentiel physique continue de s’accroître mais, avec en contre- partie, une élévation exponentielle du niveau de fatigue.
A ce stade du processus d’entraînement, la capacité de performance est relativement faible car la fatigue est prégnante et empêche le potentiel physique de s’exprimer totalement.
C’est seulement après la période d’affutage, qui consiste à diminuer le volume de travail tout en maintenant l’intensité spécifique de compétition, que l’organisme parvient à assimiler quasiment complètement le taux de fatigue préalablement accumulé. A la fin de cette période, le potentiel physique est au plus haut niveau et la fatigue au plus bas. Avec une bonne fraîcheur mentale, le sportif possède une capacité de performance élevée qui l’autorise à établir une excellente performance sportive. L’ensemble de ce processus de gestion de la charge de travail en fonction de la fatigue a été très bien décrit antérieurement (Banister et Hamilton, 1985).
III . Différents modèles de fonctionnement
On vient de voir toute la complexité du système pour amener le sportif au maximum de sa capacité de performance. La gestion de ce processus dépend, en grande partie, du modèle de fonctionnement de l’athlète et de son autonomie de fonctionnement. La tâche première de l’entraîneur est de comprendre le modèle de fonctionnement de l’athlète qu’il conseille pour mieux appréhender sa façon de s’organiser, d’agir, de répondre, de rebondir, d’analyser son activité. Ensuite, son rôle est de mettre en place le dispositif qui doit permettre la programmation du cycle stimulation-performance appliqué au sportif.
L’entraîneur doit trouver les méthodes permettant de placer le sportif à l’intérieur d’un travail actif, stimulant, qui développe le potentiel physique et mental en évitant le travail trop passif qui a plutôt tendance à «endormir» l’organisme.
Le cycle stimulation-performance comprend à la base des séances d’entraînement dynamiques qui permettent d’agir sur la plasticité de l’organisme en désadaptant certains systèmes fonctionnels. Ce cycle joue un rôle de déformation. Ensuite, l’organisme doit assimiler tout le travail pour être ensuite capable de se réadapter à un niveau supérieur. C’est seulement à partir de la réussite de ce cycle d’assimilation qu’un niveau de performance élevé peut être attendu. Bien évidemment, il existe de grosses différences entre les sportifs dans la gestion d’un tel cycle. Elles sont en partie dues à leurs capacités de réponses aux différents stimuli d’entraînement et à leur propre modèle et autonomie de fonctionnement.
Il existe, en effet, différents modèles de fonctionnement chez les athlètes qui conduisent tous à des systèmes d’autonomies différentes.
Le premier modèle autorise une grande ouverture à l’entraîneur qui a la possibilité de pénétrer à l’intérieur du modèle du sportif afin de bien comprendre son fonctionnement interne. La relation entraîneur-entraîné est alors relativement complète car le sportif très ouvert autorise une relation de travail bilatérale.
Avec le second modèle, l’athlète ne laisse qu’une petite ouverture à l’entraîneur. Il ne l’autorise à rentrer qu’en partie à l’intérieur de son système de fonctionnement en laissant une petite porte entrouverte. Une bonne partie de la boîte noire est interdite à l’entraîneur qui doit jouer de toute sa compétence et de sa finesse perceptive pour mieux découvrir l’athlète qu’il a en charge.
Dans le dernier modèle, l’athlète est relativement fermé et n’entrouvre qu’un trou de souris à l’entraîneur. Ce dernier doit utiliser tous les stratagèmes qu’il possède pour tenter de saisir quelques éléments de fonctionnement du sportif. La relation entraîneur-entraîné se concentre ici sur un mode unilatéral.
Ces trois modèles conduisent à des modes d’autonomie de fonctionnement bien particuliers et spécifiques qui déterminent une loi selon laquelle il est impossible de rentrer dans la boîte noire de l’athlète si ce dernier ne le souhaite pas.
Autant d’athlètes, autant de systèmes de fonctionnement et de modèles d’autonomie qui conduisent à des capacités de performance différentes. Au final, c’est toujours le sportif qui décide. A l’entraîneur de s’adapter et de trouver les clés qui le conduiront à guider le mieux possible l’athlète vers sa capacité de performance maximale en fonction de son modèle de fonctionnement.
Alors, la question que l’on peut se poser est la suivante : quelle stratégie adopter pour gérer le modèle de fonctionnement d’un athlète ?
On trouve plusieurs réponses :
1) le laisser gérer seul son modèle ;
2) l’obliger à faire des ajustements à l’intérieur de son modèle ;
3) l’obliger à casser son modèle ;
4) suggérer, proposer des pistes de travail pour qu’il s’améliore.
Nous pensons que la dernière réponse semble la plus rationnelle. En effet, à partir du modèle de fonctionnement initial de l’athlète, il semble opportun et judicieux de continuer à travailler sur les bases de ce modèle en évitant de tout casser et surtout, de trouver les ajustements nécessaires qui permettront de faire évoluer le modèle vers plus de rationalité.
La réussite sportive passera obligatoirement par la maîtrise totale du modèle de performance personnel à partir d’une certaine autonomie de fonctionnement propre au sportif.
IV . Différents modèles d’autonomie
L’autonomie de fonctionnement peut se définir globalement à partir de différents critères. Elle représente la capacité à choisir de son propre chef sans se laisser dominer par certaines tendances naturelles ou collectives. Elle permet une certaine liberté intérieure. Elle autorise la capacité à se gouverner soi-même. Elle permet la faculté d'agir par soi-même en se donnant ses propres règles de conduite. Elle implique la non-domination de façon servile par une autorité extérieure.
Cette autonomie se construit sur plusieurs années à partir de l’expérience acquise et du rôle de l’entraîneur dans la relation entraîneur-entraîné. Il semble manifeste que l’on ne devient pas autonome naturellement. L’autonomie ne peut se construire que dans l’éducation sportive. Elle répond à l’adoption d’une conduite tenant compte des règles fixées par le modèle sportif dans une perspective de durabilité et de soutenabilité des contraintes imposées par le milieu.
Les différents modèles d’autonomie rencontrés chez les athlètes sont fonction de :
1) la perception et l’analyse de la discipline sportive ;
2) des résultats ;
3) de la personnalité de l’athlète ;
4) de l’âge ;
5) du niveau de pratique ;
6) du cadre de vie privée ;
7) du modèle de fonctionnement de l’équipe à laquelle il appartient ;
8) de la discipline sportive.
Ainsi, nous distinguons plusieurs modèles d’autonomie de fonctionnement caractéristiques en fonction des observations de terrain. Leurs particularités renvoient à un certain type d’athlète.
Le modèle d’autonomie complète ne renvoie à aucune dépendance avec quiconque dans le fonctionnement quotidien. Ici, l’athlète n’a besoin de personne pour construire son modèle d’entraînement. Il gère seul son processus d’entraînement à partir d’un modèle de fonctionnement qu’il contrôle personnellement. Il peut aller chercher du renfort mais en veillant bien à toujours contrôler le processus. Dans ce modèle, la relation entraîneur-entraîné n’existe pas. Il apparaît qu’à haut niveau de performance, les sportifs qui fonctionnent à partir de ce modèle son relativement rares. Mais il en existe toutefois certains qui possèdent la capacité d’aller rechercher des éléments d’informations très ciblés leur permettant assez rapidement d’améliorer sensiblement leur capacité de performance. Ces athlètes d’exception possèdent un niveau d’intelligence pratique très élevé qui leur permet d’être à la fois discriminants et fins dans leurs choix.
Le modèle d’autonomie syncrétique induit une petite dépendance, le dernier qui parle ayant raison. L’athlète a constamment besoin de prendre des informations en écoutant différentes personnes pour se faire sa propre opinion avant de construire son modèle d’entraînement et le faire évoluer au fil du temps. Il y a ici une forte sensibilité au mélange des influences avec le besoin d’aller chercher des sources d’informations partout autour de soi. On se trouve dans un modèle de fonctionnement très unilatéral où l’athlète se nourrit des informations des autres mais sans donner de retour à quiconque.
Le modèle d’autonomie régulée implique une dépendance périodique. L’athlète a besoin de prendre des informations auprès d’un entraîneur pour se rassurer mais il souhaite, en contre-partie, continuer à construire seul son modèle d’entraînement. Il est à la recherche d’informations et de techniques permettant de réguler son processus d’entraînement. Son but est de maintenir une relative stabilité, conforme à ce qui est prévu au niveau du système d’entraînement.
Le modèle d’autonomie contrôlée autorise une dépendance relativement ouverte. Ici, le sportif a régulièrement besoin d’un entraîneur pour le guider dans son processus d’entraînement. Ce dernier doit lui offrir une écoute importante pour l’aider à construire ou renforcer son modèle d’entraînement. L’athlète gère son processus d’entraînement en relation étroite avec un entraîneur qui le guide à partir d’un modèle de fonctionnement contrôlé par ce dernier. L’entraîneur est considéré comme un guide qui contribue à apporter de l’aide pour faire en sorte d’améliorer sans cesse le processus. Il porte des vérifications, il surveille, il suggère, il ajuste. Le contrôle vise à réduire les incertitudes. On assiste ici à une
relation bilatérale entre l’entraîneur et l’entraîné à partir d’un fort niveau de communication.
Le modèle d’autonomie limitée détermine une sorte de dépendance voulue. L’athlète a besoin quotidiennement d’un entraîneur à qui il fait entièrement confiance pour qu’il construise son modèle d’entraînement. Il ne possède pas toujours la faculté d'agir par lui-même en se donnant ses propres règles de conduite. Il est en constante demande d’aide extérieure pour construire son projet, ce qui lui assure un confort de fonctionnement dans le temps. Dans un tel système, l’entraîneur peut avoir tendance à façonner l’athlète à son image, devenir un pygmalion. Il doit surtout veiller à ne pas dépasser certaines limites. La relation bilatérale entre l’entraîneur et l’entraîné se déplace souvent vers un déséquilibre en faveur du sportif qui possède un niveau d’exigence relativement élevé.
Le modèle d’autonomie dirigée conduit à une dépendance totale. L’athlète s’en remet totalement à son entraîneur à qui il fait entièrement confiance pour construire mon modèle d’entraînement. L’entraîneur dirige et contrôle la totalité du processus en laissant très peu de marge pour faire des propositions. L’autonomie de l’athlète est très limitée car l’entraîneur fonctionne selon un mode autoritaire qui détermine une forte tendance à la domination. Certains athlètes ont réussi à travers ce modèle à devenir de véritables champions. Mais le système possède toutefois ses limites qui sont d’user mentalement et physiquement plus ou moins rapidement le sportif et de voir celui-ci au bout d’un certain temps se détourner de ce modèle. Cela peut même conduire à l’arrêt brutal de la compétition par dégoût et non- plaisir.
Il semble que la résilience de l’athlète soit dépendante du modèle de fonctionnement. Par résilience on entend la capacité que possède le sportif à vivre, à réussir à se développer, à rebondir en dépit de l’adversité et des traumatismes extérieurs.
La performance est étroitement liée au concept de résilience car le chemin qui y conduit est souvent sinueux et semé d’embuches. En réalité, le sportif espère toujours bénéficier des meilleures conditions possibles pour se préparer. Seulement, le processus d’entraînement est rarement linéaire et est généralement semé d’embuches. Les conditions espérées ne sont jamais optimales car il existe toujours des contraintes. Or, comment réagit le sportif à l’intérieur d’un tel système ? S’il ne maîtrise pas son modèle d’autonomie, lors d’événements difficiles et déstabilisants, il peut adopter une attitude de victime qui induit souvent une grande difficulté pour se construire dans le temps. En revanche, s’il maîtrise relativement bien son modèle, il va savoir profiter des conditions de vie difficiles rencontrées dans certaines périodes pour développer un mental d’acier et se donner une motivation supérieure pour atteindre les objectifs qu’il s’est préalablement fixé. Comme sa résilience est relativement élevée, cela lui permet de rebondir rapidement derrière un fort traumatisme.
Au final, quel serait le meilleur modèle d’autonomie chez un sportif ?
Nous suggérons que ce qui est important, ce n’est pas la nature même du modèle d’autonomie d’appartenance de l’athlète mais davantage la capacité à maîtriser totalement le modèle d’autonomie intégré dans le système de fonctionnement dans lequel il se trouve. Nous pensons qu’il s’agit là de l’une des clés qui conduit à la capacité à réaliser une performance sportive.
Terminons par ces quelques lignes d’Edgar Morin qui résument bien la grande complexité du système dans lequel évoluent conjointement et plus ou moins étroitement l’athlète et l’entraîneur : « Il faudrait enseigner des principes de stratégie qui permettent d'affronter les aléas, l'inattendu et l'incertain et de modifier leur développement, en vertu des informations acquises en cours de route. Il faut apprendre à naviguer dans un océan d'incertitudes à travers des archipels de certitude » (Morin, 1999, p. 3).
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Références bibliographiques
BANISTER EW, HAMILTON CL (1985). « Variations in iron status with fatigue modelled from training in female distance runners », European Journal of Applied Physiology and Occupational Physiology, vol. 54, pp. 16-23.
MORIN Edgar (1990), Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF. MORIN Edgar (1999), Les Sept Savoirs nécessaires à l'éducation du futur,
Paris, UNESCO.
ST CLAIR GIBSON Alan et al, (2006), « The role of information processing between the brain and peripheral physiological systems in pacing and perception of effort », Sports Medicine,, vol. 36, n°8, pp. 705-722.
ULMER HV (1996), « Concept of an extracellular regulation of muscular metabolic rate during heavy exercise in humans by psychophysiological feedback », Experentia, vol. 52, n° 5, pp. 416-420.
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