La fatigue du coureur d'ultra distance n’est semble t'il pas que physique et l’effondrement n’est pas que physiologique. Il existe aussi une asthénie psychologique, sorte de grand ras-le-bol, de démotivation, voire d’écœurement, ce que certains nomment également dans le milieu professionnel « le burn out ». Mais enquêtons davantage ...
La répétition toute l'année des entraînements et des compétitions, même si cela peut sembler passionnel, pourrait engendrer une certaine monotonie. Le fait qu’elle soit une activité cyclique ou le corps répète inexorablement les mêmes gestes, les mêmes exercices font que l’entraînement peut devenir parfois une obsession, un hyper usage, voire une addiction.
Ainsi, certains coureurs d'ultra distance peuvent évoquer un certain malaise lorsqu'ils ratent un entraînement. On peut alors imaginer qu'en pleine période de fêtes cela risque d'être encore plus difficile: ne risque t'on pas de prendre du poids, de perdre son niveau ?
Il peut alors s'installer une sorte de prophétie auto-réalisatrice dans laquelle on devient ce que les autres pensent de nous, et aussi ce que nous pensons de nous-mêmes.
En fait, même fatigués, on ne lâche rien... nous sommes des coureurs d'ultra !
Avant d’en arriver à ce stade, il est donc intéressant de comprendre comment le corps réagit à la fatigue et quels sont les moyens à mettre en œuvre pour le régénérer. Car il n'est peut être pas obligatoire de couper complètement, tout dépend en fait d'innombrables paramètres qui ne sont pas tous connus et maitrisés.
La pratique de la course à pied pour le plaisir, pour la santé
Nous voici donc au cœur même de notre sujet. En effet : la course à pied pratiquée à des doses élevées peut elle nous permettre de rester en bonne santé ?
Le simple fait de marcher quotidiennement pourrait ainsi nous suffire à conserver un bon capital santé. Mais si nous préférons la course à pied, c’est certainement pour obtenir plus rapidement du plaisir.
Aussi nous courons par un besoin vital de nous évader, comme par exemple dans la pratique de l'ultra trail qui nous permet de nous mettre au vert: "de nous immerger dans la nature, elle qui t’invite et qui t’aime. Se mettre au vert pour ne pas broyer du noir."(1)
Être en bonne santé, c’est aussi être bien mentalement et la pratique de l'ultra distance permet ainsi cette évasion nécessaire, qu'elle soit extérieure ou intérieure.
Bref, courir, ce n’est pas seulement se déplacer par ses propres moyens dans l’espace-temps mais c'est aussi "se débarrasser des impedimenta du moment, tourner le dos à une forme d’installation dans la vie, d’enlisement dans le monde. Et c’est surtout se transformer : la course est une métamorphose, un processus d’accomplissement."(2)
Après une bonne séance, on se retrouve certes au point de départ, mais nous ne sommes plus dans le même état : quelque chose s’est modifié en nous, jusque dans la chimie de notre cerveau.
La fatigue, un mal nécessaire ?
Chaque jour, chaque semaine, l’entraînement constitue un stress bénéfique car il améliore le potentiel énergétique de l’organisme, la tolérance à l’effort et la performance.
Lorsque l’on s’entraîne régulièrement pendant plusieurs semaines, le corps s’adapte plus ou moins bien en fonction de la fatigue générée, que l’on défini comme : « L’incapacité à maintenir une force et une puissance requises ou espérées » (Edwards, 1983).
Ne dit-on pas qu'on ne progresse pas sans fatigue ?
L’entraînement effectué régulièrement est une sollicitation qui agit sur l’organisme et vient perturber son équilibre (on parle d’homéostasie ). Face à cette perturbation, la réponse de l’organisme est une adaptation, conduisant à une amélioration de la capacité de performance, l’objectif étant d’obtenir une amélioration ou un maintien d’une certaine forme tout au long de la saison.
Cependant il est nécessaire de rappeler que la charge de travail est l’élément central de cette progression et qu’elle n’est pas, comme beaucoup le pensent dans le monde de l'ultra distance, uniquement le nombre de kilomètres courus tout au long d’un bloc ou d’un cycle.
En effet, la charge d’entraînement est une donnée beaucoup plus délicate et subtile à manier car elle met en jeu des éléments non seulement quantitatifs, mais aussi qualitatifs. Selon Smith , cette charge est la combinaison de quatre éléments :
- le volume de travail qui permet de stabiliser ou de différer la forme et la fatigue ;
- l’intensité de ce travail ;
- la fréquence des séances ;
- la spécificité de cette charge
Ces adaptations physiologiques peuvent certes améliorer les capacités et les performances, mais elles peuvent aussi induire un véritable cercle vicieux de fatigue physique, voire de surcharge mentale. En effet le terme fatigue recouvre plusieurs notions : il peut s’agir d’une fatigue physique qui fait suite à un exercice épuisant ou d’une fatigue mentale qui survient suite à une activité prolongée.
Dans la pratique de l'ultra distance, il est courant de constater une tendance à un alourdissement des charges d’entraînement, notamment chez le coureur qui cherche à performer davantage. Malgré une compétition longue et suffisante pour adapter l'organisme dans le fil du temps, on voit poindre à l'entraînement un allongement des durées et parfois une augmentation des intensités avec une diminution des phases de récupération (la reprise peut s'avérer même être fort précoce...).
Il existe aussi des contraintes d’entraînement
Afin d’entrer dans un processus d’entraînement raisonné et raisonnable, il est intéressant de construire une démarche qui permet de s’approprier et de comprendre ce que la charge d’entraînement peut produire comme fatigue sur l’organisme.
À ce propos, la mesure des contraintes de l’entraînement est une porte d’accès à la compréhension de ses effets. Ainsi la contrainte de l’entraînement est en fait le produit de la charge d’entraînement totale de la semaine avec l’index de monotonie de la semaine.
Ce qui donne comme équation simple :
Contrainte d'entrainement = Charge d’entraînement totale de la semaine x Monotonie de l’entraînement
En fait, et pour une charge d’entraînement donnée par semaine, plus la monotonie augmente et plus la contrainte augmente. Inversement, pour une monotonie donnée, l’augmentation de la charge de travail augmente la contrainte.
Foster (1998) a en effet montré que les problèmes de santé d’un sportif (maladie, blessure, fatigue) survenaient très souvent lorsque les indices de monotonie et de contrainte atteignaient des valeurs anormales.
La monotonie de l’entraînement, quant à elle, est un « index de variabilité de l’entraînement », corrélée avec la charge de travail permettant de déterminer des périodes de surcharge voire de surentraînement.
Pour aller plus loin, on peut définir cet index chaque semaine comme le rapport entre la charge d’entraînement moyenne d’une journée sur la déviation standard :
Monotonie = charge moyenne hebdomadaire / écart type
L’augmentation de la charge de travail et de la monotonie peut engendrer un syndrome de surentraînement (on parle désormais de surmenage). C’est pourquoi il est toujours important de préserver une certaine variation de la charge d’entraînement dans la semaine de façon à diminuer l’index de monotonie, comme il est aussi impératif de varier les séances en intensité, en volume, en travail spécifique, pour y trouver aussi un certain plaisir
Une certaine surenchère du long ?
Une certaine boulimie traverse l’ensemble de l’édifice de la pratique de l'ultra distance.
En fait, le niveau progresse et il est courant de constater que l’on s’entraîne au niveau régional, comme l’on s’entraînait, il y a quelques années, au niveau national. Il devient presque nécessaire de s’entraîner toujours plus longtemps et toujours plus dur (le fameux no pain, no gain), qui est souvent la conséquence des effets de la surenchère du long et de la pratique de l’Ultra-Trail.
Seulement, les risques pris à l’entraînement sont aussi importants, et même parfois supérieurs, à ceux rencontrés en compétition, notamment dans le haut niveau : ainsi de plus en plus, les situations d’entraînement se rapprochent des conditions de la compétition, voire les dépassent ou les amplifient.
Les champions d'ultra distance doivent se préparer dans des situations bien réelles, avec des intensités, des pressions, un investissement et des motivations identiques à celles qui seront rencontrées et devront être mobilisées lors des compétitions décisives:
"L’entraînement devient alors un lieu de dépassement qui, cumulé avec les phases de compétitions, peut entraîner des catastrophes sur l’organisme." (3)
L’entraînement et la compétition sont donc indissociables, et ceci même lorsque l’entraînement se fait en dehors de toute finalité compétitive, lorsqu’il n’a pour seul souci que l’amélioration de la condition physique.
L'entraînement n’en est pas moins partiellement, voire totalement imprégné de notre société par le souci du dépassement de soi ou d’autrui.
Croyant bien faire, certains athlètes s’entraînent avec acharnement, sans repos et souvent à haute intensité toute l’année. Les compétitions qui se cumulent, avec des challenges et des défis de plus en plus longs, de plus en plus fous, peuvent instaurer alors un véritable surentraînement.
C’est d’ailleurs un problème majeur chez les athlètes d’endurance. Les recherches ayant étudié ce phénomène de surentraînement ont conclu qu’ils pouvaient affecter 65 % des athlètes d’endurance à un moment ou un autre de leur carrière sportive (4) ; le surentraînement étant d’ailleurs perçu comme pouvant être la principale cause de blessures (Pen et coll., 1996).
Il faut bien comprendre que la surcharge d’entraînement et de compétitions conduit presque toujours à un surmenage qui, même s’il est considéré comme transitoire, induit des altérations physiologiques.
La fatigue n'est-elle pas censée préserver l’intégrité de l’organisme ?
Même si le corps est une merveilleuse machine, on oublie souvent qu'il possède ses propres mécanismes d’autorégulation et de guérison : circadiens, hormonaux, digestifs, maintien de la température corporelle, etc.
Ces mécanismes permettent à notre corps de fonctionner normalement et de réagir aux imprévus. Par contre, le moindre écart dans ces régulations engendre, dans son fonctionnement, un dérèglement dont les effets ont tôt fait de se manifester : dépression, fatigue, troubles de concentration, douleur.
Pour gagner la guerre contre cette multitude de problèmes de santé (dont l'inactivité physique est aussi et en premier lieu l’une des grandes responsables) une approche multi-factorielle est nécessaire.
Celle-ci inclut une médecine préventive, une nutrition appropriée, un bon sommeil et surtout, une progressivité dans l'entraînement. En fait plus on en fait, plus on peut en faire...
En terme de fatigabilité l'évaluation suggestive est une avancée dans la recherche de la fatigue neuromusculaire. En effet notre cerveau n'est pas uniquement réactif, dans le sens où il devrait s'adapter en permanence, mais il demeure aussi prédictif.
C'est-à-dire qu'il peut produire des pensées qui peuvent nous amener aussi à faire des erreurs, erreurs qui nous permettent de rechercher une certaine autonomie dans notre entraînement. Ainsi, "des prises de décision, in situ, proche du terrains sont ainsi biens meilleures, car elles ont des conséquences directes sur la personne qui va la prendre."(5)
Pour conclure
Quand bien même la fatigue préserve l’intégrité de l’organisme, elle n’en prévient pas de la fatigue chronique, de ce que l’on peut également nommer le surmenage.
En effet, le surmenage sportif peut conduire à un état de fatigue chronique car l’athlète qui malmène régulièrement son corps à l’entraînement subit en quelques sorte la dislocation de ses forces et la diminution de son système immunitaire (avec une augmentation des risques d’infection).
Il peut de ce fait tomber malade, se fatiguer très vite avec une perturbation du sommeil et perdre également toute volonté. Cela peut aller même jusqu’à une forme de dégoût, sorte de faillite physique et morale qui ne lui laisse comme échappatoire que le repos forcé.
À ce stade, on est donc en droit de se poser quelques questions sur l’engrenage que l’entraînement peut provoquer : juste la bonne dose pour stimuler et fatiguer l’organisme afin de provoquer une progression dans les performances, ou bien une dose trop importante et répétée qui peut faire sombrer dans le surentraînement et le surmenage ?
Références
(1) Noel Tamini, Courir par goût de la liberté, texte inclus dans le 3e vol. de la Saga
(2) Etienne Klein, Vous avez dit « bigorexique » ? in Courir, Figures libres, 2013
(3) Frédéric Baillette, « À la vie, à la mort », Revue Autrement, Série «Sciences en société», n° 4, « Le corps surnaturé » Les sports entre science et conscience »), avril 1992
(4) McKenzie DC: Markers of excessive exercise, Can J Appl Physiol, 1999 Feb, 24:1, 66-73
(5) Nassim Nicholas Taleb, Antifragile: Les bienfaits du désordre, Ed. Les belles lettres, Août 2013
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