Dans le tumulte frénétique où les frontières entre le besoin et le désir s'effacent, le monde du trail running émerge comme un terrain fertile pour les questionnements existentiels. Au cœur de cette course effrénée vers une inscription, se dessine un tableau saisissant où les motivations profondes des coureurs se heurtent aux obstacles matérialistes. La montée en puissance de cet engouement, malgré des tarifs élevés, suscite une réflexion profonde sur les valeurs qui animent notre société moderne. Sommes-nous en train de redéfinir le concept même de réalisation personnelle, où l'accomplissement sportif transcende les barrières monétaires pour devenir un symbole de liberté et d'authenticité ?
Dans cette quête effrénée vers les sommets, peuvent surgir en effet des interrogations fondamentales sur notre rapport à l'effort, à la nature et à notre propre essence. Peut-être sommes-nous en train de réinventer les notions de succès et de réussite, où la véritable victoire réside non pas dans la conquête de territoires extérieurs, mais dans l'exploration des paysages intérieurs. Dans ce dédale de chemins escarpés et de défis vertigineux, nous sommes confrontés à une vérité éclatante : le trail running devient bien plus qu'une simple pratique sportive, il se métamorphose en une quête existentielle, une recherche inlassable de sens et d’accomplissement.
Aussi, dans cette épopée moderne où le courage et la détermination se mesurent à l'aune des obstacles financiers, pourrait émerger une nouvelle vision du trail running. Ce ne serait plus seulement une question de performance ou de compétition, mais une exploration profonde de notre être, une immersion totale dans l'essence même de la vie. Et au cœur de cette aventure épique, nous serions invités à nous interroger sur notre propre place dans ce grand théâtre de l'existence, à embrasser les défis avec audace et à découvrir la beauté insoupçonnée qui réside au creux de chaque sentier.
Photo: @Cyril Quintard
Sommes-nous face à une nouvelle forme de consommation, où l'expérience vécue et le dépassement de soi supplantent l'acquisition de biens matériels ?
Entre besoin et désir - Le "Black Friday" du Trail
Dans notre monde contemporain, la frénésie du Black Friday, symbole de notre appétit insatiable pour l'accumulation matérielle, trouve un écho inattendu dans le domaine apparemment éloigné du trail running. L'exemple le plus frappant de cette tendance est sans doute l'explosion des inscriptions pour l'édition 2024 de l'Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB), une course qui, malgré ses frais de participation élevés, attire des coureurs du monde entier, désireux de se mesurer à l'un des défis les plus exigeants du sport.
Ainsi, dans l’article de « The conversation » (Ultra-trail du Mont-Blanc : pourquoi l’appel au boycott a échoué) du 12 février 2024 il est précisé que malgré l’appel au boycott de Kilian Jornet et Zach Miller, il y a eu 34 % d’inscrits en plus sur l’édition 2024 de l’UTMB :
« De nombreuses réactions ont suivi cette annonce dans la presse et sur les réseaux sociaux, alimentant une véritable controverse et obligeant les organisateurs de cet évènement à clarifier leur position. Puis, aussi rapidement que la polémique avait enflé, elle s’est dissipée dans les limbes du massif du Mont-Blanc. Début février, les demandes d’inscriptions pour l’édition 2024 étaient en effet en hausse de 34 % par rapport à 2023 et plusieurs grands athlètes de la discipline avaient confirmé leur présence. »
Au delà du constat « qu'il s’apparente à un véritable fait social total qui s’est diffusé en dehors de la sphère sportive et intéresse de plus en plus de personnes », cette ruée vers l'UTMB, en dépit des coûts et des difficultés, révèle un désir profond chez de nombreux individus de repousser leurs limites physiques et mentales, défiant ainsi toute logique économique traditionnelle. Ce phénomène, exacerbé par la crise du COVID-19 qui a suspendu temporairement nos vies et nos routines, souligne une recherche d'expériences authentiques et de sens dans un monde où la virtualité prend une place croissante.
Les questions se multiplient alors : qu'est-ce qui motive réellement cette quête d'extrême ? Sommes-nous face à une nouvelle forme de consommation, où l'expérience vécue et le dépassement de soi supplantent l'acquisition de biens matériels ?
En explorant l'engouement pour les courses de trail médiatisées comme l'UTMB, nous nous interrogeons en fait sur les dynamiques profondes qui animent notre société et sur la manière dont nos systèmes de valeurs et de récompense se reconfigurent dans le sillage d'une pandémie mondiale.
Photo: @Cyril Quintard
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Le trail running représente à la fois une opportunité de reconquête de nos espaces et de nos libertés, ainsi qu'un défi pour notre capacité à concilier nos aspirations individuelles avec les besoins de la communauté et de l'environnement.
Le Trail post COVID : Un besoin de reconquête ?
La pandémie de COVID-19 a profondément perturbé nos vies, nous confinant dans des espaces restreints et remettant en question nos habitudes et nos priorités. Ce bouleversement soudain a révélé un besoin pressant de retrouver un sens d'aventure et de liberté, un désir de reconquérir les espaces ouverts et de repousser nos limites physiques.
Dans ce contexte, le trail running a émergé comme une réponse naturelle à ces aspirations.
D'une part, la pratique du trail running, avec son immersion dans la nature et son défi constant face aux éléments, représente une échappatoire bienvenue à la monotonie de la vie quotidienne confinée. Les participants recherchent activement des expériences qui leur permettent de se reconnecter avec le monde extérieur, de retrouver un sentiment de liberté et de redécouvrir les joies de l’aventure.
D'autre part, cette période difficile a mis en lumière l'importance de la communauté dans notre quête de bien-être. Les courses de trail, en particulier les événements majeurs comme l'UTMB, offrent une occasion unique de se rassembler, de partager des défis communs et de renforcer les liens avec les autres participants. L'explosion des inscriptions à ces courses témoigne de la volonté collective de retrouver un sens d'appartenance et de solidarité, des éléments qui ont été mis à mal pendant les périodes d’isolement.
Cependant, il est important de reconnaître que cette ruée vers le trail running n'est pas dénuée de défis et de contradictions. Alors que nous cherchons à nous reconstruire après la pandémie, nous devons également être conscients des implications sociales et environnementales de notre engagement pour cette pratique. Les prix exorbitants et l'empreinte écologique de ces événements mettent en lumière les défis auxquels nous sommes confrontés. De plus, notre cerveau, programmé pour la recherche constante de gratification et de dépassement, peut parfois nous pousser à céder à l'appel du trail sans tenir pleinement compte des conséquences.
Le trail running représente à la fois une opportunité de reconquête de nos espaces et de nos libertés, ainsi qu'un défi pour notre capacité à concilier nos aspirations individuelles avec les besoins de la communauté et de l'environnement. En intégrant ces différentes dimensions de manière dialectique, nous pouvons envisager une pratique qui soit à la fois gratifiante sur le plan personnel et respectueuse des valeurs de solidarité et de durabilité.
Les neurosciences du désir
La pratique du trail running peut être analysée à travers le prisme de la passion et du désir, des concepts qui trouvent écho dans les mécanismes neurobiologiques du cerveau humain. Les neurosciences nous révèlent que le striatum, une région clé du cerveau, agit comme le moteur de nos aspirations. Il s'active notamment lorsque nous sommes attirés par la promesse de récompenses, comme l'adrénaline et le sentiment d'accomplissement procurés par la pratique du trail. Cette activation du striatum nous pousse vers la quête de sensations fortes et d'expériences nouvelles, caractéristiques essentielles de la passion que nous déclenchons pour le trail running.
Cependant, cette impulsion est tempérée par l'action du cortex préfrontal, qui agit comme un régulateur. Cette partie du cerveau prend en compte les conséquences à long terme de nos actions, y compris les risques associés à des activités exigeantes. Ainsi, la pratique de ce sport extrême illustre parfaitement la tension entre la recherche immédiate de gratification et la considération des conséquences futures, une dynamique complexe qui guide nos choix et nos comportements.
En intégrant ces connaissances sur les mécanismes neurobiologiques du désir et de la motivation, enrichies par des perspectives philosophiques telles que l'hédonisme, l'épicurisme, le stoïcisme et l'existentialisme, nous sommes invités à une réflexion profonde sur nos motivations profondes. Pourquoi nous lançons-nous dans des défis physiques et financièrement coûteux comme les trails extrêmes ? Quels sont les objectifs qui nous animent, tant sur le plan personnel que collectif ? Comment pouvons-nous canaliser cette énergie vers des actions qui non seulement nous réalisent individuellement, mais qui contribuent également au bien-être commun et au respect de notre environnement ?
Cette réflexion nous amène à reconnaître que la passion pour le trail running ne se limite pas à une simple quête de sensations fortes, mais qu'elle est également porteuse d'une dimension plus profonde, où le dépassement de soi et la connexion avec la nature se conjuguent avec des valeurs de bien-être collectif et de respect de l'environnement. En ce sens, la pratique du trail peut être vue comme une forme de reconquête, non seulement des espaces ouverts, mais aussi de notre propre essence humaine, guidée par le désir de dépassement et d'harmonie avec le monde qui nous entoure.
Photo: @Cyril Quintard
Dans le contexte contemporain où la digitalisation et les médias sociaux jouent un rôle prépondérant dans la construction de notre identité sociale, la participation à des courses de trail médiatisées émerge comme un élément central.
La psychologie sociale de la participation
La pratique du trail running, sous l'angle de la psychologie sociale, révèle une dynamique complexe où l'engouement pour les courses, malgré leurs tarifs élevés, s'explique également par la quête de reconnaissance et d'appartenance. Dans nos sociétés contemporaines, où le statut et l'identité individuelle sont de plus en plus façonnés par les expériences vécues et partagées, participer à des épreuves prestigieuses telles que l'UTMB devient un moyen puissant d'affirmation sociale.
Cette quête de reconnaissance sociale est amplifiée par l'avènement des médias sociaux, qui offrent une plateforme pour le partage instantané des exploits sportifs. La publication de photos, de vidéos et de récits de courses permet aux participants de construire et de projeter une identité valorisée par la communauté en ligne. Ainsi, la décision de s'engager dans des trails ne se réduit pas à un choix individuel dicté par des facteurs neurologiques, mais représente également une réponse aux influences sociales profondes qui façonnent nos perceptions de nous-mêmes et des autres.
En participant à des courses, les individus cherchent à être reconnus et admirés par leurs pairs, à être intégrés dans une communauté partageant les mêmes passions et valeurs. L'accomplissement de défis physiques et mentaux, la persévérance face à l'adversité et la communion avec la nature deviennent des symboles de statut et de compétence, renforçant ainsi le sentiment d'appartenance à un groupe sélectif. Cette recherche de reconnaissance sociale à travers la pratique souligne l'importance des relations interpersonnelles et de l'identité sociale dans la motivation humaine. Elle met en lumière le besoin fondamental d'être perçu et valorisé par les autres, ainsi que l'impact significatif de l'environnement social sur nos choix et nos comportements. En fin de compte, participer à des trails extrêmes comme l'UTMB ou le Grand Raid de La Réunion représente non seulement un défi personnel, mais aussi une affirmation de soi au sein d'une communauté où le dépassement de soi est célébré et récompensé.
Dans le contexte contemporain où la digitalisation et les médias sociaux jouent un rôle prépondérant dans la construction de notre identité sociale (1), la participation à des courses de trail médiatisées émerge comme un élément central. Ces événements, bien plus que de simples défis physiques, incarnent des occasions uniques de recherche de reconnaissance et d'appartenance.
Sous l'impulsion de la visibilité des expériences extraordinaires sur les plateformes en ligne, les individus sont encouragés à investir non seulement dans ces courses, mais aussi dans la mise en scène et le partage de leurs exploits sportifs. Au-delà de la simple gratification personnelle, ces engagements constituent un capital social à valoriser au sein de leur réseau social virtuel. La nature virale et instantanée des médias numériques amplifie cette dynamique, alimentant ainsi le désir profond de faire partie d'une communauté en ligne valorisante et d'être reconnu au sein de celle-ci. Ainsi, la participation à ces courses devient une quête de reconnaissance sociale, poussant les individus à consentir à des investissements financiers significatifs pour des expériences perçues comme uniques et dignes de partage.
Vers une pratique plus consciente ?
Dans le sillage de la crise mondiale engendrée par la pandémie et de la prise de conscience croissante des répercussions environnementales et sociales de nos activités, il devient impérieux d'orienter la pratique du trail running vers une voie plus consciente et durable. Cette transition nécessite une profonde introspection quant à nos motivations intrinsèques, prônant un équilibre entre la quête de performance et le souci du bien-être personnel, ainsi que le respect de notre environnement naturel. En effet, le trail running ne saurait plus se limiter à une simple course effrénée vers la ligne d'arrivée, mais pourrait devenir une expression consciente de notre relation avec la nature et de notre solidarité envers notre communauté de coureurs.
Dans cette optique, l'intégration des principes de consensus et de consentement dans la pratique du trail running pourrait représenter une avancée significative, même si nous devons garder à l'esprit les contradictions inhérentes à notre société capitaliste et néolibérale, où l'économie joue un rôle prépondérant. Inspirée par les travaux de Michel Meyer sur la théorie de l'argumentation et les recherches de Juliette Picardeau et Léna Silberzahn sur le consensus, cette approche invite à considérer les décisions collectives et individuelles sous un angle plus inclusif et durable. Elle met en lumière l'importance de prendre en compte une diversité de perspectives, notamment en ce qui concerne les impacts écologiques et sociétaux de nos actions. Ainsi, en favorisant un dialogue ouvert et respectueux, basé sur l'écoute et la prise en compte des différences, le trail running pourrait évoluer vers des pratiques plus équilibrées et harmonieuses, alignées sur les valeurs de préservation de la nature et de solidarité communautaire.
La réflexion sur la quête de sens dans le trail running trouve également un écho dans les travaux de Gérald Bronner, professeur de sociologie à Sorbonne Université, qui soulève la question cruciale de la distinction entre la connaissance, la croyance, l'information et le commentaire dans un contexte saturé d'informations et de discours divers. Dans un monde où les frontières entre ces différentes catégories tendent à s'effacer, il pourrait devenir essentiel de cultiver notre discernement pour préserver notre libre arbitre. La pratique du trail running pouvant ainsi devenir un terrain propice à cette réflexion, nous invitant à trier et à sélectionner les informations qui nous entourent, à évaluer nos croyances et à remettre en question nos préjugés, tout en restant ouverts à la découverte de la beauté brute du monde qui nous entoure.
Photo: @Cyril Quintard
Le merveilleux peut aussi se manifester dans sa version brute, jaillissant directement du monde pour nous percuter littéralement, à condition que nous soyons aux aguets.
Réflexions pour un avenir conscient et responsable ?
Dans le sillage de la pandémie, le monde du trail running a connu une expansion remarquable, marquée par la popularité croissante d'événements emblématiques. Cette ascension fulgurante suscite toutefois des interrogations profondes sur les implications environnementales et les défis sociaux qui en découlent, révélant une crise identitaire au sein de la communauté des coureurs. Autrefois perçus comme une échappatoire à la frénésie de la vie moderne, les trails se retrouvent désormais au cœur d'un débat crucial sur la durabilité et la responsabilité.
En scrutant attentivement ces tensions, nous sommes amenés à réfléchir à une pratique du trail plus consciente, où la passion pour la course s'harmonise avec une prise de conscience aiguë de la nécessité de préserver notre planète et de promouvoir l'équité sociale au sein de notre communauté. Cet article se veut ainsi une invitation à repenser notre rapport au sport, à la nature et à la société dans cette ère post-COVID, où la quête de sens et de connexion est plus pressante que jamais.
La compréhension des mécanismes neurologiques et sociaux sous-tendant l'engouement pour le trail s'avère cruciale. Il est impératif de questionner la durabilité de cette tendance et d'explorer des approches plus équilibrées, qui conjuguent passion sportive et impératifs de préservation environnementale et de justice sociale. Cette conclusion appelle à une introspection collective et individuelle, afin de redéfinir nos motivations et nos pratiques sportives dans une perspective plus consciente et responsable.
Pour clore cette réflexion, rappelons les propos inspirants de Sylvain Tesson, qui nous invite à considérer que "le merveilleux peut aussi se manifester dans sa version brute, jaillissant directement du monde pour nous percuter littéralement, à condition que nous soyons aux aguets." Dans notre quête de sens et de connexion, que le trail running devienne le terrain où cette vision se concrétise, où la beauté brute de la nature et l'authenticité de nos émotions se mêlent harmonieusement pour nous rappeler la magie de l'existence.
Par Éric LACROIX
le 20 mars 2024
(1) Lire à ce propos Bruno Patino, « Submersion », Grasset, 2023. Dans cet ouvrage, l’auteur aborde la question de l'hyper-connectivité dans la société moderne. Il examine comment l'omniprésence des technologies numériques, en particulier les smartphones et Internet, a profondément modifié nos vies quotidiennes, nos interactions sociales et notre rapport au monde. Il souligne que cette connectivité constante crée une sorte de submersion numérique, où les frontières entre la vie réelle et le monde virtuel deviennent floues. L'auteur explore également les conséquences de cette hyper-connectivité, telles que la dépendance aux appareils numériques, l'érosion de la vie privée, les impacts sur la santé mentale comme l'anxiété et la dépression, et les changements dans les relations sociales et familiales. Il met également en lumière les défis associés à la surcharge d'informations, la difficulté de se déconnecter, et la manière dont les médias sociaux façonnent notre perception de la réalité et de nous-mêmes.
Bibliographie
Boehler Sébastien (2023), Striatum, Bouquins-Essai.
Bronner Gérald (2024), Exorcisme, Grasset.
Dufour Didier (2015), Introduction à la psychologie sociale, Dunod.
Houdé Olivier (2022), Apprendre à résister. Pour combattre les biais cognitifs, Champs essais.
Meyer, M. (2002). Le jeu du monde. Paris : Presses universitaires de France.
Pharo Patrick (2006), La sociologie de Goffman, La Découverte.
Picardeau, J. (2015). La démocratie du consensus : histoire et critique. Paris : Éditions de la Maison des sciences de l’homme.
Robinson, V., & Kaye, N. (2009). Extreme Sports, Extreme Bodies: Gender, Identities and Bodies in Motion. Berg Publishers.
Rosa Hartmut (2014), Aliénation et accélération. Vers une théorie critique de la modernité tardive, Éditions La découverte.
Russell, G. W. (2000). Social Psychology of Sport. Springer.
Silberzahn, L. (2018). Le consensus : une méthode de prise de décision collective. Paris : Presses universitaires de France.
Tesson Sylvain (2024), Avec les fées, Editions des Equateurs.
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