La dépendance du coureur à pied
La plupart des publications sur la dépendance à l’effort mettent en avant le rôle joué par les endorphines produites par le cerveau lors d’un exercice musculaire. Le cerveau générant un stress à l’organisme en le rendant en quelque sorte dépendant de l’effort. Il est d’ailleurs courant de voir attribuer à ces endorphines une multitude d’effets dans la pratique de la course à pied dont la fameuse « extase du sportif » ou runner’s hight, celle qui limite la sensation de douleur et provoque un effet anxiolytique voir euphorisant. Et c’est vrai. Le cerveau libère non seulement des endorphines mais également des milliers de molécules de « bien-être » pour anticiper les dommages causés à l’organisme après l’effort.
Qui n’as pas vécu ce genre de sensations après une séance plus ou moins intense ou après une compétition ou l’on s’est surpassé. Des sensations finalement que l’on recherche par la suite, prémices d’un comportement addictif en quête de plaisir permanent. Pour définir cet état chez les coureurs à pied, des chercheursaméricains parlent d’obligatory runners, ce qui veut dire « coureurs par obligation ». Ainsi des psychiatres de l’Université de l’Arizona ont interviewé plus de 60 marathoniens et coureurs sur piste en les comparant à leurs patients anorexiques. Ils ont pu remarquer que lorsque le coureur doit arrêter momentanément son entraînement par obligation, il devient anxieux et se met à déprimer. L’exercice passe donc avant tout autre intérêt dans sa vie, même au risque de compromettre sa santé. Le docteur Kenneth E. Callen de l’Université de l’Oregon pense que plus de 25 % des coureurs sont ainsi « névrotiquement » attachés à leur sport. Nous pensons que dans la pratique du Trail et de l’ultra endurance ce chiffre est bien supérieur [1].
On peut préciser que la dépendance dans ce sport, comme dans beaucoup d’autres sports, ne touche pas que le haut niveau, mais bien toutes les sphères de la pratique. On peut aussi noter un aspect excessif du comportement avec des volumes d’entraînements de plus en plus exorbitants (des semaines au-delàde 15 à 20h), une fréquence de compétitions élevée. Mais on peut souligner également un soucis perpétuel et un besoin incessant de vouloir repousser constamment les limites du corps au risque de ne jamais récupérer. On peut associer cet état à une sorte de ritualisation qui mêlée au comportement obsessionnel peut faire dériver le pratiquant de trail dans un sphère qu’il ne contrôle plus.
Ainsi le sevrage physique et psychologique peut devenir difficile, avec l’impossibilité d’arrêter la pratique, et de vouloir continuer le sport malgré les blessures. Avec son lot conséquent de compétitions et de challenges sur toute l’année (grandes classiques ...) l’entraînement ne débouchant jamais sur une période de plénitude physique, mais sur l’entraînement perpétuel. En fait l’athlète ne peut plus se reposer correctement, car dans cette pratique la quête de la performance est illimitée.
Les conséquences peuvent être multiples dans la pratique :
• Sur le plan physiologique on peut évoquer un certain amaigrissement, parfois extrême, une fragilité immunitaire (maladies ou infections régulières) et des performances plutôt en « dents de scie » ;
• Sur le plan psychologique, une sorte d’asthénie peut se déclarer, avec une certaine lassitude, jusqu’à ne plus vouloir aller à l’entraînement, se lever tôt pour ses sorties longues ou aller courir en nature ou en montagne (et donc se forcer) ;
• Sur le plan social enfin, il est courant de constater une volonté à ne plus vouloir s’entraîner avec les autres, et plutôt à s’isoler.
Dans un programme d’entraînement bien conçu on ne fuit pas la fatigue, bien au contraire, on la recherche et son couplage à une bonne récupération détermine la progression de l’athlète. Si on recommence son exercice avant d’avoir totalement récupéré, on n’arrivera pas à rééditer nos performances. Et si on attend trop longtemps, les effets bénéfiques du premier entraînement disparaîtra et il se situera au niveau de forme précédent. Tout le problème consiste donc à trouver le moment propice au « rappel » de l’exercice, ni trop tôt, ni trop tard. Il est donc essentiel de trouver le bon dosage dans l’entraînement, entre le plaisir et l’efficience.
[1] Par exemple une étude réalisée sur les épreuves de l’UTMB 2011 faisaient ressortir que sur 1611 hommes et 164 femmes, 7% étaient « dépendants à l’exercice physique » mais surtout qu’environ 60% de coureurs étaient dits « à risque » avec seulement 30% de « non addicts ». Sources: Élodie Gailledrat, Mémoire DESC de médecine du sport.
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