L’entraînement polarisé est une méthode d’entraînement qui a fait ses preuves dans les disciplines dites d’endurance, notamment en cyclisme sur piste, en triathlon et aussi en demi-fond, et on s'y intéresse de plus en plus en course à pied et en Trail.
En fait la répartition des charges de travail à l’entraînement peut permettre des adaptations positives de l’organisme, mais pourrait aussi éviter les risques de blessures ou de surentraînement.
C’est le Professeur norvégien Stephen Seiler qui en est le précurseur, et sa méthode repose sur des bases scientifiques solides. Il s’est d’abord interrogé sur la notion de dose d’entraînement en posant plusieurs questions :
Comment les athlètes d’endurance s’entrainent t’ils ?
Ce système d’entraînement est t’il une tradition ou existe de réelles raisons physiologiques ?
Comment utilisent t’ils les entraînements à haute intensité et à sur quelles durées ?
Il remarque que les zones cibles de travail à l’entraînement sont trop nombreuses (5 parfois 7), et que les réponses aux sollicitations sont donc confuses. Les athlètes produisent souvent le même niveau moyen de lactates, et ne sollicitent donc pas suffisamment la mitochondrie.
On peut même remarquer que les séances effectuées en endurance ou au seuil aérobie (avec des intensités comprises entre 60 et 80% de la FC max) dérivent souvent vers une intensité plus élevée. L'effort étant plus abordable, l’athlète a souvent tendance à accélérer davantage et ne plus se situer dans la zone de départ. Ce qui se produit est alors une sorte de « trou noir » c’est-à-dire une zone de travail qui fatigue l’organisme plus que de le solliciter pour le faire progresser.
Stephen Seiler propose donc une méthode basée sur les 2 extrêmes de l’entraînement aérobie afin d’optimiser les processus d’adaptation au niveau circulatoire et musculaire :
Un travail à basse intensité, ou LSDT (pour Long Slow Distance Training),
Un travail à haute intensité, ou HIIT (pour High Intensity Interval Training).
Ces deux procédés sont complémentaires et permettent de maximiser le signal adaptatif de la cellule musculaire en augmentant les capacités oxydatives.
Limites du modèle La règle des 80-20 préconisée dans cette méthode s’avère intéressante pour des athlètes de haut-niveau ou fortement entraînés et habitués à inclure des séances à très haute intensité au sein de leur programme.
A l’inverse pour des athlètes un peu plus débutants ou initiés dans la pratique et n’ayant pas l’habitude de gérer ce genre de programmation, cette méthode peut s’avérer délicate à mettre en oeuvre et donc conduire à de la fatigue ou à une surcharge. Il faut donc y aller progressivement notamment avec les séances à haute intensité.
Aussi, la vitesse au rythme de compétition n’est pas suffisamment travaillée (vitesse au seuil), et cela peut engendrer une perte de repère sur le fait de maintenir un temps d’effort assez soutenu sur des périodes plus longues.
Pour répondre aux questions concernant les allures ...
Concernant le modèle d'entraînement polarisé établi par Stephen Seiler, 80% de l'entraînement devrait se faire sous SV1 et 20% au-dessus (autour de SV2 et+).
On comprend parfaitement, ici, que ce SV1/ Seuil aérobie est une donnée fondamentale. Et c'est bien ici que se trouve la difficulté car sa détection est très subtile et demande une certaine expérience et une bonne écoute de soi.
Pourquoi une difficulté ? Parce que, nous rappelle le professeur Seiler, il existe un fait constant observé chez les athlètes qui est : "la surestimation de leur propre niveau et par conséquent la surestimation de leurs seuils (aérobie et anaérobie)".
L'égo nous joue des tours dans l'estimation de nos seuils et plus particulièrement pour le seuil aérobie qui se situe dans une zone de basse intensité. Pour pouvoir l'estimer correctement, il faut donc "mettre cet ego dans sa poche et le recouvrir d'un mouchoir" comme aime à le dire Christian VAAST, auteur de l'excellent ouvrage " Les fondamentaux du cyclisme" (tome 1 & 2).
Il faut être le plus sincère avec soi, dixit Phil Maffetone (c'est très difficile pour pas mal d'athlètes surtout dans le travail à basse intensité).
Comment l'estimer donc ? C'est une question largement débattue.
À défaut de test en laboratoire (le plus précis si le protocole choisi est le bon), le professeur Seiler a constaté qu'une valeur max située à 75% FCmax était plutôt correcte,
Phil Maffetone utilise la formule 180-âge avec des ajustements. Bien sûr comme toute formule elle a ses limites... elle est très "conservative"/ prudente/ sous-estimante (de loin préférable au sur-estimant) mais elle a le mérite d'apprendre ce qu'est la basse intensité.
Concernant le repère "être capable de parler" s'il est bon pour ceux qui se connaissent très bien, il peut être faussé pour beaucoup. Ce qui explique pourquoi, la majorité des coureurs amateurs se font happer par ce fameux trou noir "black hole". En effet, certains peuvent estimer être capable de parler à 170 puls et avoir un taux de lactate supérieur à 2 mmol/l donc nettement au-delà du seuil aérobie.
À la place, le Talk-Test (combinaison du ressenti d'effort + fc) proposé par le professeur Carl FOSTER avec un protocole par palier de 3' pour estimer le seuil aérobie semble plus juste (cf ouvrage "Be a better runner" de Sally Edwards, Carl Foster et Roy M.Wallack)
Il consiste à dire à haute voix un texte entre 30 et 50 mots (réciter the "Pledge of allegiance" ou poème ou texte) ...dans la dernière minute de chaque palier et se poser la question : Est-ce que je peux parler confortablement ?"
Carl FOSTER nous explique qu'il existe seulement 3 réponses possible :
Oui
Oui mais...
Non.
Lorsque vous dites " oui mais", alors votre avant dernier palier représente en Fc et vitesse votre SV1.
Être capable de courir "bouche fermée" et "respiration nasale uniquement"; dès lors qu'on commence à ouvrir la bouche pour respirer on a "sauté " le seuil (cette technique présente une forte limite: si on est habitué à des efforts intenses alors l'estimation est faussée".
Test de la dérive de fréquence cardiaque (Heart Rate drift Test) sur une durée de 60' avec Training Peaks (beaucoup utilisé par Uphill Athlete).
Et le ressenti d'effort
Aussi, et concernant le ressenti d'effort, il faut comprendre qu'ilpeut être totalement biaisé lorsque l'athlète pratique beaucoup trop d'effort de haute intensité. À ce propos, dans une de ses conférences, Scott Johnston nous raconte avoir eu à tester (relevé de lactates sur un athlète courant sur tapis) un athlète qui pratiquait pas mal d'efforts de haute intensité. Cet athlète alors même qu'il commençait à marcher sur le tapis de course et tout en discutant et en ayant une perception d'effort très faible, présentait déjà une lactatémie "hors norme" (seuil aérobie décelé à 58% FCMAX).
Il était complètement dépendant de son système anaérobie au détriment de son système aérobie. Il fallait donc le "recalibrer" en lui imposant un régime d'entraînement aérobie (sous SV1) strict pendant une longue période.
Enfin, le ressenti d'effort dans les basses intensités d'entraînement peut également jouer des tours à de très bons athlètes...
Par exemple Abdelkader Kada entraîneur du célèbre Hicham El Guerrouj racontait que suite à l'échec d'Icham lors des J.O de Sydney, une batterie de tests réalisée post-J.O avait révélée une allure beaucoup trop rapide sur ses footings. Après "recalibration" et réajustement de ses allures lentes via la Fc notamment, il a pu retrouver un excellent niveau.
Coupler Fréquence Cardiaque (Fc) + Ressenti d'Effort permet d'affiner et d'améliorer son écoute, et finalement de bien se connaître.
Références :
Liens:
Articles et ouvrages :
Esteve-Lanao, J et al. (2007), Impact of training intensity intensity distribution on performance in endurance athletes., J. Strength Cond Res, 21, 943-949
Lacroix E., Trail !, Volume 2, Éditions Orphie (2018)
Muñoz I (2013), Does Polarized Training Improve Performance in Recreational Runners ?, Int J Sports Physiol Perform.
Neal CM (2013), Six weeks of a polarized training-intensity distribution leads to greater physiological and performance adaptations than a threshold model in trained cyclists,
J. Appl Physiol.
Seiler, S & Tonnessen, E (2009), Intervals, thresholds, and long slow distance: the role of intensity and duration in endurance training, Sportsci, 13, 32-53.
Seiler, KS (2010), What is best practice for training intensity and duration distribution in endurance athletes? Int J Sport Physiol Perf, 5, 276-291.
Vercoshanski JV. (1985), Modèle d’organisation de la charge d’entraînement au cours du cycle annuel.
Zapico (2007, Evolution of physiological and haematological parameters with training load in elite male road cyclistes: a longitudinal study, J. Sports Med.Phys
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