« Tout le monde a besoin de dormir. Au même titre que la faim, la soif ou le désir sexuel, le sommeil est une nécessité physiologique universelle : nous passons en moyenne un tiers de notre vie à dormir. Mais les bénéfices réels de cet état d’inconscience prolongée font l’objet de nombreuses spéculations au sein de la communauté scientifique. »
Robert Stickgold - Professeur à Harvard
Lors des championnats du monde d’athlétisme 2022 à Eugene (USA), on a pu constater des états de fatigue mentionnés par nos athlètes français, et notamment une certaine fatigue qu’on pourrait déceler comme un épuisement profond de l’organisme.
Au-delà des chaleurs dont il faudra composer de plus en plus dans les épreuves compétitives à venir, il est peut être nécessaire de comprendre ce que l’on nomme les gains marginaux dans la pratique compétitive, comme ceux de la santé mentale, de la logistique et de la fatigue liés aux voyages (1).
Même si ces gains marginaux font désormais l’objet de discussions au sein de la communauté scientifique et médicale sportive comme une composante permettant aux athlètes élites de rivaliser au plus haut niveau (2), on commence à se poser réellement des questions sur la sémantique de cette pseudo marginalité.
En effet, la composante du sommeil permettrait par exemple aux athlètes, quels que soient les niveaux, de pouvoir améliorer leurs performances jusqu’à 10%, et ce de façon sécuritaire et dans le respect de sa propre nature.
En fait ces gains, que l’on dit marginaux, ne pourraient t-ils pas ainsi gagner en considération dans la dynamique complexe de la performance ?
Au-delà de vouloir sans cesse améliorer nos performances chiffrées, ne devraient t-on pas adopter davantage une approche plus systémique de nos entraînements en relation avec notre vie quotidienne ?
Par exemple, on sait qu’un sommeil suffisant, autant en quantité qu’en qualité, est indispensable, mais sait t-on finalement quelle durée totale de sommeil il nous faut en général pour que l’on puisse rester en bonne santé physique et mentale ?
Dans cet article nous vous invitons donc à explorer les effets chroniques du sommeil, pour dans un prochaine production scruter davantage ses effets sur des épreuves extrêmes (ultra distance, courses en solitaire…).
Le sommeil, entre oubli et souvenirs
Le sommeil est entre « être et non être » disait Aristote. Pourtant le sommeil joue un rôle considérable dans le cerveau. Il n’y a qu’à voir la tête que l’on a lorsque nous manquons de sommeil le matin. Nous sommes moins lucide, plus énervé, avec un manque d’envie d’aller au travail ou de partir s’entraîner.
Les premières hypothèses liées au besoin de sommeil seraient, et on s’en doute la récupération du corps qui a subit une fatigue cumulée lors de la journée.
Mais on s’est aussi vite rendu compte du besoin essentiel pour le cerveau, non seulement pour pouvoir récupérer, mais aussi de consolider sa mémoire. Nous possédons en fait des sortes de GPS dans notre cerveau (les hippocampes) qui nous permettent de mémoriser de multiples fois le scénario de nos déplacements, de nos vécus de nos épisodes de notre vie, mais aussi de notre créativité. Et le sommeil leur est essentiel, vital.
Énormément de choses sont donc liées au sommeil et surtout aux rêves (on peut s’en douter) car on passe en fait 1/3 de notre temps à dormir, et dès notre naissance nous dormons environ 16h à 18h/jour de façon fragmentée.
La nuit lorsque l’on rêve, on accepte ainsi des changements d’identités ou de lieux, notre esprit critique étant différent par le fait de diminuer l’éveil de notre cortex préfontal. On pourrait ainsi prendre l’apparence de 100 personnages différents, sorte de mise en jachère pour se projeter pourquoi pas l’image d’un futur champion (voir aussi le syndrome de Frégoli).
La nuit nous permet également de retisser les tâches de notre journée, le sommeil nous invitant à faire le tri, de retirer le bruit, le brouhaha de chaque jour avec un relâchement des connexions nerveuses (synapses). Ce qui entraîne aussi une certaine part d’oubli, indispensable pour des expériences nouvelles, de nouveaux apprentissages.
Cependant nous vivons une épidémie de manque de sommeil, sachant que nous dormons une heure et demie de moins qu’il y a un demi siècle (3).
Le pouvoir de la nuit
Au même titre que nos besoins primaires, le sommeil est une nécessité physiologique mais les bénéfices réels de cet état d’inconscience prolongée sont souvent mal perçus, mal compris, dans une société où il est nécessaire d’accélérer en permanence pour être de plus en plus en performant.
Pourtant le sommeil représente la forme la plus aboutie du repos qui permet à l’organisme de récupérer, que ce soit sur le plan physique ou mental. Il permet aussi de réduire le métabolisme et de préserver l’énergie (rôle homéostasique), la température corporelle s’abaissant autour de 36°C durant la nuit.
Quand bien même sommes-nous capable de nous adapter au manque de sommeil (4), le fait de dormir nous est indispensable. Il nous permet de mieux résister au stress, aux maladies, d’éviter de prendre du poids et il est également essentiel pour mémoriser nos connaissances (5).
Que dire alors d’un athlète s’entraînant régulièrement avec des charges élevées et cumulant régulièrement un déficit de sommeil ?
Selon plusieurs études scientifiques ce manque de sommeil influencerait fortement son équilibre mental et physique avec des conséquences liées principalement à différentes horloges biologiques de l’organisme en ayant un fort impact :
Sur le système nerveux central, le manque de sommeil altérant les fonctions cognitives, comme la mémorisation, la gestion des émotions, la régulation de l’appétit, ainsi que l’acquisition de nouvelles compétences ;
Sur le système immunitaire, celui-ci étant incapable de fonctionner correctement pour lutter contre les maladies en étant privé de sommeil ;
Sur le système endocrinien en perturbant non seulement la sensibilité du corps à l’action de l’insuline (l’hormone de régulation de la glycémie), produite par le pancréas, mais aussi la sécrétion de leptine, l’hormone de la satiété. Ce qui augmenterait le risque de devenir obèse (6).
Les dégâts que l’on connait pour l’instant de ce manque de sommeil sur la santé auraient également des répercussions sur l’obésité, sur le diabète, sur l’anxiété, en provoquant même de nombreux problèmes d’attention et de mémorisation.
Ces effets seraient ainsi chiffrés à 100 milliards de pertes pour l’économie, causées par des arrêts maladie et une baisse de productivité.
L'évaluation du sommeil et du bien-être chez les athlètes à l'aide de mesures spécifiques plutôt que des questionnaires génériques pourraient sans nul doute être plus bénéfiques. Les recherches futures pourraient ainsi évaluer plus précisément les changements dans la relation entre le sommeil, la santé générale, l'humeur, le bien-être et les blessures chez les athlètes, au fil du temps, au cours d'une saison de compétition.
En 1965, Randy Gardner, un étudiant américain de 17 ans, a passé 264 heures (11 jours et 11 nuits) sans dormir. C'est, aujourd'hui encore, la plus longue privation de sommeil enregistrée.
Comprendre nos rythmes circadiens pour mieux dormir
"Chacun sait que le sommeil est important ! Mais le sommeil est insaisissable …"
Chiara Cirelli et Giulio Tononi in : Is sleep essential ? Plos Biology 2008
Il est très intéressant de comprendre notre système de rythme circadien (circa : "proche de", dian : "un jour ») qui joue en fait le rôle principal dans la physiologie et la santé (7).
En effet ce rythme nous est propre et personnel (8), et certains staffs sportifs l’ont bien compris, en faisant dormir notamment des sportifs ayant sensiblement les mêmes rythmes dans la même chambre d’hôtel par exemple, ou en apportant une literie spécifique lors de déplacements compétitifs (lien ici)
Ainsi diverses fonctions de l’organisme comme le système veille/sommeil, la température corporelle, la pression artérielle, la production d’hormones, la fréquence cardiaque, mais aussi les capacités cognitives, l’humeur ou encore la mémoire seraient régulées par notre horloge interne et ces modulateurs sur un cycle d’une durée de 24 heures (9).
On parle même d’horloges biologiques qui seraient partout dans notre corps, dans le foie, dans nos poumons, dans nos reins, avec une unité centrale dans le cerveau. Tous les mécanismes de récupération, de régénération pourraient ainsi être sous la dépendance de ces horloges.
Nos organes joueraient donc le rôle de modulateur de notre sommeil, et donc de notre récupération, d’ou l’importance d’être en phase, non seulement le jour mais aussi la nuit.
Les phases du sommeil, un scénario complexe
Lorsque nous dormons, tout notre corps se met au repos, et certaines fonctions vitales se mettent en quelque sorte en phase de veille : la température corporelle et la pression sanguine diminuent, la respiration et le pouls ralentissent. Et notre état de conscience devient moins apte à prendre des décisions.
Cependant, notre cerveau est loin d’être inactif, notamment dans certaines phases qu’il occupe avec divers états qui se succèdent dans des cycles de sommeil.
Les recherches approfondies de l’INSERM sur le sommeil nous apportent des éléments importants de compréhension. Le sommeil correspond en fait à une succession de 3 à 6 cycles successifs, de 60 à 120 minutes chacun. Un cycle est lui-même constitué d’une alternance de sommeil lent et de sommeil paradoxal, correspondant chacun à une activité cérébrale différente mise en évidence par électroencéphalographie (EEG). Lors de la phase d’éveil, par exemple, les ondes électriques sont courtes et fréquentes
Le sommeil lent (ou N-REM), porte ce nom car il est caractérisé par des ondes électriques lentes. Cette phase correspond à un ralentissement progressif des fonctions neurovégétatives avec l’approfondissement du sommeil et le ralentissement de l’activité cérébrale avec une phase de transition (N1) de quelques minutes, séparant la veille et le sommeil, et une phase de sommeil léger (N2) qui s’installe. Ce sommeil lent léger se produit à l’endormissement, l’activité du cerveau se ralentissant peu à peu, mais ou le réveil peut se produire par le moindre bruit. Le sommeil lent profond (N3), qui dure plusieurs dizaines de minutes, quant à lui amplifie l’activité cérébrale, le cerveau étant de plus en plus insensible aux stimulations extérieures ou de son propre corps. En sommeil profond, il est très difficile de se réveiller, l’imagerie fonctionnelle montrant une consommation en oxygène réduite et donc un métabolisme cérébral ralenti. Le tonus musculaire est lui-aussi diminué, mais encore partiellement présent, pouvant expliquer les épisodes de somnambulisme
Le sommeil paradoxal (ou REM) est un état dans lequel il est difficile de se réveiller, avec des comportements oniriques liés aux rêves. C’est Michel Jouvet, neurobiologiste, qui est à l’origine cette découverte du sommeil paradoxal, état caractérisé par une atonie musculaire totale et des ondes cérébrales (activité PGO) proches de celles de l’éveil, et support biologique du rêve. Il s’agirait d’un troisième état du cerveau, aussi différent du sommeil que celui-ci l’est de l’éveil. Le tonus des muscles disparaît complètement mais on peut observer de très brèves contractions ou de petits mouvements des extrémités. On le reconnaît à la présence de mouvements des yeux, appelés mouvements oculaires rapides. Les anglo-saxons appellent d’ailleurs le sommeil paradoxal à mouvements oculaires rapides (REM ou Rapid Eye Movement sleep). Au niveau des fonctions neurovégétatives, tout se passe comme si la régulation homéostatique, chargée de maintenir la stabilité des grandes fonctions de l’organisme, fonctionnait mal. On observe donc une grande instabilité du pouls, de la pression artérielle et de la respiration durant cette phase..
Infographie illustrant les différents stades du sommeil et de l’éveil enregistrés sur un sujet, par électroencéphalogramme, pendant la nuit. Le sommeil se compose du sommeil paradoxal, de la transition éveil-sommeil (stade1), du sommeil lent léger (stade2) et du sommeil lent profond (stade3). Au fur et à mesure de la nuit, le sommeil lent profond diminue au profit du sommeil lent léger. © Inserm/Pinci, Alexandra
Pour résumer le déroulement de notre nuit …
Lorsque l’on s’endort nous traversons pendant quelques minutes un état intermédiaire entre l’éveil et le sommeil : le sommeil léger : c’est le stade N1, puis son sommeil s’approfondit en stade N2, et nous sommes alors réellement endormi. Si on se réveille au bout de quelques minutes, on aura conscience d’avoir dormi.
Après quelques dizaines de minutes de stade N2, le sommeil s’approfondit encore : c’est le sommeil lent profond. Nous sommes alors profondément endormi.
Le sommeil profond s’interrompt, le sommeil léger réapparaît avant de faire place au premier épisode de sommeil paradoxal qui survient après 1h30 de sommeil environ. Ce premier épisode ne dure que quelques minutes.
S’en suit du sommeil lent léger puis du sommeil lent profond puis du sommeil paradoxal. Nous avons alors accompli notre premier cycle de sommeil de 90 minutes environ.
La nuit de sommeil est composée de 3 à 6 cycles successifs. Au fur et à mesure que la nuit avance, la composition des cycles va évoluer : le sommeil lent profond est très abondant en début de nuit et quand la nuit avance, il se fait plus rare et disparaît complètement au petit matin.
A l’inverse, le sommeil paradoxal qui est bref en début de nuit va occuper une place croissante dans chaque cycle de sommeil au fil de la nuit.
Quel que soit le stade de sommeil, on peut se réveiller plusieurs fois pour une brève durée, sans que l’on se souvienne au réveil. Ses phases d’éveils sont normales.
Un élimination plus rapide des déchets du cerveau ?
Un effet du sommeil jamais décrit concerne le liquide cérébro-spinal. Ce liquide présent dans le cerveau (concentration en ions diminués en potassium par exemple) y circule plus vite durant le sommeil ce qui permettrait d’éliminer les cellules toxiques deux fois plus vite et de « nettoyer » nos neurones - et de préserver en quelque sorte notre santé mentale
Cette découverte, assez récente date de 2013 par l’équipe de Lulu Xie, du Centre médical de l’université de Rochester, aux États-Unis. Elle a ainsi montré que l’espace entre deux cellules cérébrales augmentait pendant le sommeil, permettant ainsi un apport plus important de fluide cérébrospinal dans le cerveau et la moelle épinière.
En outre, les chercheurs ont injecté à des souris des protéines bêta-amyloïdes, précurseurs des plaques amyloïdes présentes chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Ils ont alors constaté que ces protéines étaient éliminées deux fois plus vite chez les souris qui dormaient que chez les souris éveillées. Ce qui suggère qu’une augmentation du flux cérébrospinal permettrait d’éliminer les molécules potentiellement toxiques pour le cerveau.
Pour finir, de nombreuses données expérimentales permettent de tisser de premiers liens entre le sommeil et notre vulnérabilité physiologique. Ainsi la production de certains médiateurs de l’immunité aurait ainsi un rythme circadien. La nature ou le nombre de cellules immunitaires comme les leucocytes ou les lymphocytes NK seraient altérés par la privation de sommeil. Enfin, en activant des médiateurs de l’immunité pro-inflammatoire (interleukine 1, TNF alpha…), certains épisodes infectieux viraux ou bactériens favoriseraient l’allongement de la durée de sommeil.
Attention à la lumière ?
D’un point de vue neurobiologique, les alternances de sommeil et d'éveil sont régulées, dans notre cerveau, par des horloges internes comme les noyaux suprachiasmatiques de l'hypothalamus, qui libèrent la mélatonine.
Ainsi lorsque la concentration de mélatonine augmente, la vigilance baisse et le cerveau se prépare à dormir. Lorsqu'elle diminue, nous nous réveillons (10).
Or l'horloge biologique et la libération de mélatonine sont quotidiennement remises à l'heure par la lumière.
C'est en effet la lumière qui, dans notre environnement, va constituer le premier modulateur de notre temps de sommeil – et de sa qualité. L'exposition à la lumière est donc essentielle pour optimiser l'éveil, le sommeil, la physiologie et la santé circadienne.
Attention à ne pas confondre les diverses lumières, et notamment bien discerner entre la lumière bleue et la lumière infra rouge (un sujet sur lequel nous reviendrons dans un prochain article).
Une étude de Cajochen et al. 2005, 2006; Munch et al., 2006, nous montre que 2h d’exposition à une lumière forte en soirée, et notamment la lumière bleue de nos tablettes ou ordinateurs réduit l’activité à ondes lentes dans le premier cycle de sommeil et augmente l’activité à ondes lentes dans le 4ème cycle du sommeil, les effets étant dépendants de la longueur d’ondes de la lumière (11).
Enfin les bienfaits de la cohérence cardiaque, selon lequel le rythme cardiaque est modulé par la fréquence de la respiration - avec une respiration plus lente et mieux maîtrisée qui stabilise les battements cardiaques, pourrait avoir un effet apaisant sur le sommeil.
En tant que sportif assidu ou régulier il est donc essentiel de comprendre que l’exposition à la lumière à un fort impact sur la régulation homéostatique du sommeil le soir, notamment en retardant l’horloge biologique, et donc la production de mélatonine et l’endormissement. Une exposition lumineuse le matin va au contraire avancer l’horloge. Ce phénomène permet, en particulier, de s’adapter aux changements d’heure et aux décalages horaires.
L’importance de la régularité et de l’horaire des repas
Le rythme des prises alimentaires a un impact également sur notre santé et peut contribuer à synchroniser nos horloges biologiques ou au contraire les perturber.
Une alimentation très distribuée sur 24 heures désynchronise par exemple les horloges périphériques permettant de réguler le métabolisme, en particulier au cours de la nuit.
Les animaux nourris de cette façon (ad libitum) ont davantage de troubles métaboliques que ceux qui mangent en même quantité mais à l’occasion de repas réguliers ou restreints à une partie de la journée seulement. Chez la souris, imposer cette discipline protège de l’obésité.
Chez l’humain, de récents suivis de cohorte ont permis d’établir une association entre l’heure des repas et le risque de cancer du sein ou encore de la prostate. Dans ces études, les individus qui mangent dans l’heure précédent le coucher ont un risque accru de cancer par rapport à ceux dont le dernier repas se termine plusieurs heures avant.
Le thème de la nutrition en chronobiologie est en train d’émerger et consiste à étudier le rythme optimal des prises alimentaires pour la santé. De nombreux régimes dits chronorégimes ou reposant sur la chrononutrition sont déjà proposés dans le commerce et dans des ouvrages, mais leur efficacité et leur supériorité par rapport à d’autres approches n’ont pas été démontrées par des études scientifiques.
Pour conclure (et aller dormir...)
Dormir est indispensable pour le sportif, notamment pour résister au stress, aux maladies, pour mémoriser ses connaissances, et pour conserver un poids de forme. Nous pensons toujours qu’il faut être éveillé pour être actif, pour produire, pour justifier une situation, et surtout pour se détendre devant une série le soir.
Mais ce temps de cerveau disponible dévolu à une vaste plage de temps inexplorée à grignoter à coup de séries addictives est aussi néfaste à l’endormissement, et donc au sommeil. Mais pour le PDG de Netflix « « quand vous regardez une série sur Netflix et que vous en devenez accro, vous veillez tard le soir. À la marge, nous sommes en concurrence avec le sommeil. Et ça fait donc beaucoup de temps.» (lien ici).
En tant que sportif mais aussi en tant qu’être, nous nous construisons (et nous reconstruisons) en dormant. Nous ne sommes pas des machines. Notre cerveau travaille autant en mode non conscient, et cela, nous commençons à le savoir (nous évoquerons par ailleurs le rôle de la sieste (12) dans un prochain article).
Ce sont ces faits, dûment documentés, qui doivent vous donner la force de ne rien faire. D’éteindre les lumières et de couper les écrans suffisamment tôt le soir, et d’accepter ce passage vers l’inaction, vers la réparation du soi. Car c’est en réalité une préparation, la journée du lendemain étant en devenir bien assez chargée.
Eric LACROIX - Juillet 2022
Coach sportif, préparateur mental.
Spécialiste en neurosciences
Notes
Les voyages en avion couvrant plusieurs fuseaux horaires peuvent provoquer une grande fatigue, et un état de conscience modifié mêlant fatigue et somnolence (le fameux décalage horaire). Ainsi être obligé de dormir à contre-courant des rythmes circadiens raccourcit le temps de sommeil mais nuit sans doute а sa qualité.
Les gains marginaux fondés sur la physiologie dépendent d’un certain nombre d’hypothèses qui sont très rarement vraies dans le sport. Pour réaliser ces gains, les athlètes doivent être en bonne santé, indemnes, avoir un régime alimentaire idéal, s’hydrater parfaitement, s’adapter idéalement au climat, se rétablir aussi vite que possible et dormir parfaitement. Ceci est rare dans le sport de haute performance, surtout dans la phase précédant la compétition, lorsque les athlètes sont stressés et doivent souvent voyager.
Le psychologue Till Roenneberg et ses collègues de l’université Louis-Maximilien de Munich ont analysé des données récentes obtenues sur 65 000 volontaires Européens, pour s’apercevoir que le temps moyen de sommeil chez les personnes d’âge compris entre 40 et 55 ans est tombé sous la barre des sept heures quotidiennes. C’est souvent le week-end que l’on s’aperçoit que c’est insuffisant pour notre corps : on se met alors à dormir au moins une heure de plus. Il n’y aurait que chez les enfants d’âge préscolaire et chez les retraités que ce décalage n’existe pas.
Les conséquences extrêmes, ou chroniques de la privation de sommeil donnent quelques indices, mais les recherches sont encore à l’état d’hypothèses, notamment chez l’homme. On connait par contre certains effets délétères de la privation de sommeil chez des animaux. Par exemple on sait que les poussins meurent en quatre à six jours, les rats en 21 à 30 jours (leur température interne baisse notablement et des troubles immunitaires finissent par les tuer). En revanche, les chats semblent s'endormir avant que les conséquences ne soient fatales, même lorsqu'ils reçoivent des stimulations sonores ou lumineuses intenses et prolongées. C’est en 1989 que Carol Everson, travaillant alors dans le laboratoire de Rechtschaffen, a apporté la meilleure preuve du besoin absolu de sommeil. Elle a montré que des rats qui ne pouvaient jamais dormir mouraient en moins d’un mois. Pour ce faire, elle empêchait chez les animaux la mise en place du stade REM (pour rapid eye movement) de sommeil paradoxal. Les dégâts que l’on connait pour l’instant sur la santé chez l’homme prennent la forme de l’obésité, du diabète, de l’anxiété, de problèmes d’attention et de mémorisation. Ces effets ont même été chiffrés à 100 milliards de pertes pour l’économie, causées par des arrêts maladie et une baisse de productivité.
L’une des raisons du sommeil est la consolidation du souvenir et de la mémoire durable. Ainsi dormir c’est aussi apprendre, sans les savoir, sans en être conscient (pour nous et les animaux). Le sommeil permet par exemple aux chiens d’apprendre à nous comprendre (ils savent quand un compliment est sincère et ils nous comprennent mieux que nous les comprenons. Les chiens apprennent donc en dormant, comme les humains.
Dans une étude scientifique, Spiegel a privé de sommeil 12 hommes pendant 2 nuits, puis mesuré leurs concentrations sanguines en ghréline, une hormone qui stimule l’appétit, et en leptine, une hormone de la satiété. La première a alors augmenté de 28 %, la seconde a diminué de 18 %, par rapport à des sujets ayant correctement dormi. Aussi, les hommes privés de sommeil avaient sans surprise plus faim que ceux ayant dormi. D’autres expériences ont montré que des enfants âgés de 5 à 9 ans dormant moins de 10 heures par nuit avaient 1,5 à 2 fois plus de risques de devenir obèses (comparés aux jeunes passant plus de 10 heures dans les bras de Morphée). Pour les adultes, ce risque serait augmenté de 50 % quand ils dorment moins de 6 heures par nuit.
Située dans l’hypothalamus, cette horloge interne, nichée au cœur du cerveau, imposerait donc le rythme circadien à notre organisme, tel un chef d’orchestre. Elle est composée de deux noyaux suprachiasmatiques contenant chacun environ 10 000 neurones qui présentent une activité électrique oscillant sur environ 24 heures et qui innervent directement et indirectement des régions cérébrales spécialisées dans différentes fonctions comme l’appétit, le sommeil ou la température corporelle (avec une production cyclique d’hormones agissant à distance sur d’autres fonctions). Selon Claude Gronfier, chercheur neurobiologiste à l'Inserm, spécialiste des rythmes biologiques et du sommeil, l’importance de la synchronisation de l'horloge biologique est essentielle. Elle est notamment perceptible dans le décalage horaire, après un voyage transméridien par exemple. Mais elle l’est aussi dans le travail de nuit (ou en 3 x 8), où l'on décrit couramment des baisses importantes des fonctions physiologiques (hormones, pression artérielle, température, système cardiovasculaire, métabolisme, division cellulaire, etc.), des performances neurocomportementales (mémoire, processus cognitifs), de la vigilance diurne et du sommeil.
On parle ici de chronotypes d’animaux, tel que le dauphin, l’ours, le lion et l’ours. Les dauphins dormiraient avec un demi-cerveau pendant que l'autre moitié reste en alerte pour sauter sur un éventuel prédateur et empêcher l'animal de mourir noyé Les Lions seraient du matin en profitant du sommeil de ses proies pour les attraper. Les ours étant de bons dormeurs, ils aiment manger à toute heure. Les loups quant à eux sont des animaux nocturnes.
Plus généralement, les données de la recherche montrent que presque toutes les fonctions biologiques sont soumises au rythme circadien. Grâce à cette horloge interne, la sécrétion de mélatonine débute en fin de journée, le sommeil est profond durant la nuit, la température corporelle est plus basse le matin très tôt et plus élevée pendant la journée, les contractions intestinales diminuent la nuit, l’éveil est maximal du milieu de matinée jusqu’en fin d’après-midi, la mémoire se consolide pendant le sommeil nocturne. Ce rythme circadien est endogène, c’est-à-dire qu’il est généré par l’organisme lui-même.
La mélatonine est une hormone dont la sécrétion est typiquement circadienne. Sa production augmente en fin de journée peu avant le coucher, contribuant à l’endormissement. Elle atteint son pic de sécrétion entre 2 et 4 heures du matin. Ensuite, sa concentration ne cesse de chuter pour devenir quasiment nulle au petit matin, un peu après le réveil. Le rythme de sécrétion de cette hormone est contrôlé par l’horloge interne, car il est identique chez des individus maintenus en pleine obscurité sans variation de la luminosité. De fait, la mélatonine est utilisée comme marqueur biologique de l’heure interne. Néanmoins, la luminosité extérieure peut affecter sa production. La lumière perçue par la rétine est transmise directement aux noyaux suprachiasmatiques qui relaient l’information jusqu’à une petite glande, l’épiphyse ou glande pinéale, qui secrète la mélatonine.
Des chercheurs de l’équipe de Sabine Plancoulaine (CRESS, Paris) ont étudié récemment l’association entre hygiène de sommeil et préservation de la vision chez 1130 enfants de la cohorte EDEN. Cette étude conclue que les enfants qui dorment peu ou trop à l’âge de deux ans auraient plus de risque d’avoir des lunettes à 5 ans, à partir de données d’une cohorte EDEN. (Source: https://www.nature.com/articles/s41598-021-88756-w).
La sieste est fortement recommandée pour les sportifs ayant des charges d'entraînement élevées, mais pas que car pouvant également combler un certain déficit de sommeil. Pratiquée en début d’après-midi, correspondant à un état de vigilance moindre (l'organisme manifeste des signes de fatigue à ce moment de la journée en réaction à nos rythmes biologiques) son impact sur la performance est documenté et révèle une amélioration des chronos de course, en plus d’un état de vigilance accru.
Quelques conseils pratiques -Inspirés de Nick Littlehales, L'Art de mieux dormir
Sachez que votre rythme circadien vous est propre, et que vous devez vous adapter avec vos proches qui ont des rythmes différents.
Tentez de régler votre horloge sur la lumière du jour, et non sur une lumière artificielle. Si vous vous couchez quand le soleil se lève, vous allez à l’encontre de votre horloge biologique.
Vous allez passer par de grands moments de fatigue, mais vous pouvez les identifier et en prendre conscience au quotidien.
La période de sommeil optimale se situe vers 2-3 h du matin.
Il est important de comprendre que la qualité du sommeil dépend de tout ce que l’on fait à partir du réveil,
La lumière bleue n’est pas un type d’éclairage approprié le soir : si vous le pouvez, réduisez-la et préférez une lumière jaune ou rouge.
Prévoyez de petites modifications dans vos habitudes et vos routines quotidiennes pour être mieux en phase avec le schéma de votre rythme circadien.
Identifiez votre chronotype et déterminez celui de vos amis proches et de votre famille.
Organisez votre journée de manière à être au top aux moments qui importent le plus.
Utilisez la caféine comme un booster de performance stratégique, pas par habitude, et sans dépasser 400 mg par jour.
Si vous êtes du soir et si vous voulez combattre le décalage social, bannissez la grasse matinée le week-end.
Installez des lampes lumière du jour dans les salles de réunion et les bureaux, afin d’améliorer la vivacité, la productivité et le moral des employés.
Apprenez à vivre en harmonie avec votre partenaire si vous n’avez pas le même chronotype.
N’envisagez pas le sommeil en termes d’heures, mais de cycles de quatre-vingt-dix minutes.
Votre temps de sommeil n’est pas figé, mais il se détermine en comptant des intervalles de quatre-vingt-dix minutes depuis votre heure de réveil.
Pour être moins stressé, appréhendez le sommeil dans une temporalité plus large. Une « mauvaise nuit » n’est pas une catastrophe : envisagez plutôt le sommeil en cycles par semaine.
Évitez si possible de cumuler trois nuits de suite avec moins de cycles que votre routine idéale.
Il n’est pas juste question de qualité vs quantité. Déterminez votre quantité de sommeil nécessaire. Pour une personne moyenne, l’idéal est de trente-cinq cycles par semaine, mais vingt-huit (six heures par nuit) à trente restent tout à fait acceptables. Si vous dormez moins que prévu, vous risquez de tirer trop sur la corde.
Essayez de respecter votre durée idéale de sommeil au moins quatre fois par semaine.
Nos routines précédant et suivant le sommeil affectent directement la qualité de celui-ci et de notre journée : accordez-leur la valeur qu’elles méritent, car il s’agit d’activités importantes, qui vous permettront d’être plus efficaces le jour comme la nuit.
Déconnectez-vous de vos appareils électroniques pendant la journée à la fois comme récompense et comme entraînement pour le corps et l’esprit.
La routine de post-sommeil est cruciale pour les gens du soir qui veulent se remettre en phase avec les gens du matin : n’y renoncez pas au profit du bouton Snooze.
Ne vous abreuvez pas de messages ! Mettez d’abord votre esprit en route avant d’allumer votre téléphone.
Faire passer votre corps d’un environnement de température agréable à un plus frais favorise le déclenchement du processus naturel de baisse de la température corporelle ; pour y parvenir, il suffit de quelques instants sous une douche tiède, suivis d’un coucher dans une pièce un peu plus fraîche.
Désencombrez votre environnement et votre esprit, et »« repassez en revue votre journée avant d’aller au lit, de façon à ne pas y penser une fois couché, alors même que vous devriez dormir.
La routine de pré-sommeil s’articule autour du concept d’extinction – respiration par le nez, relaxation, passage de la lumière à l’obscurité –, tandis que celle de post-sommeil se concentre sur le démarrage en douceur de la journée : ces périodes n’appartiennent qu’à vous et à personne d’autre. »
Une période de récupération contrôlée en début d’après-midi (entre 13 h et 15 h) constitue une excellente manière de compléter vos cycles nocturnes en harmonie avec vos cycles circadiens.
Le début de la soirée (entre 17 h et 19 h) constitue la deuxième meilleure fenêtre, car le besoin est fort. Simplement, à ce moment-là, ne dépassez pas trente minutes, afin de ne pas affecter votre sommeil nocturne.
Vous n’arrivez pas à dormir en journée ? Pas de problème ! Seulement, accordez-vous trente minutes pour déconnecter et vous éloigner du monde.
Marquez des pauses toutes les quatre-vingt-dix minutes, au moins, afin de régénérer vos neurones et de retrouver votre niveau de concentration. Lors de ces breaks, évitez les appareils électroniques, de façon à ne pas rester connecté une heure et demie.
Quel que soit votre milieu professionnel, oubliez les idées reçues, selon lesquelles les dormeurs diurnes seraient des « paresseux » et adhérez à une culture où les périodes de récupération contrôlée et les pauses « sont acceptées : « Si tu ne dors pas, t’es mort ! »
Pour vous extraire plus facilement de votre environnement immédiat, utilisez des applications de méditation, la pleine conscience ou prenez en main un objet avec une forte valeur personnelle.
Si vous n’arrivez vraiment pas à vous échapper, organisez votre journée de façon à ne pas devoir accomplir une tâche trop éprouvante lors du coup de mou de la mi-journée.
Articles scientifiques
Borbély, A. A two-process model of sleep regulation. Human Neurobiology 1982, 1:195–204.
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Sur le sommeil et le travail de nuit, posté, avec des horaires atypiques
Conflits entre impératifs socioéconomiques et biologiques - Folkard et al. 1985; Costa 1997; 1999; Queinnec, Tieger, Tersac 1985)
Induisent un déphasage des synchroniseurs, une désynchronisation des rythmes - Chaumont, Laporte, Nicolai et Reinberg 1979; Colquhoum, Blake 1968; Folkard, Mon et Loban 1978; Knauth et al. 1978; Reinberg 1989)
Effets souvent considérés comme négatifs sur la santé et le bien-être des travailleurs de nuit et postés - Reingerg et al. 1996; 2003,2007; Birchler -Pedross et al. 2009; Reinberg, Smolensky, 1992; Benoit 1992; Costa et al. 1981,2001
Pour aller plus loin dans le domaine des neurosciences
Les molécules du sommeil, vecteurs de notre fatigue ?
L’adénosine
On connait bien les effets de la dopamine pour notre cerveau, et notamment pour les phases d’éveil. Mais on connait moins les effets de l’adénosine. En effet, l’adénosine est en fait une molécule importante, dont il faut s’intéresser pour bien comprendre la fatigue liée au sommeil. En effet au-delà qu’elle soit une base organique formée d’une base azotée (l’adénine) et d’un sucre appelé ribose, qui est par ailleurs bien connue des sportifs puisqu’elle à la base de la production d’énergie (ATP signifiant Adénosine Tri-Phosphate), cette adénine est un produit de la chaîne de consommation énergétique dans le cerveau (bien que le cerveau représente 2% environ du poids total du corps, il consomme près 20% de notre énergie !).
Robert McCarley (1937-2017), un spécialiste du sommeil et de la schizophrénie à la faculté de médecine de Harvard, a montré depuis plus de vingt ans que l’adénosine s’accumule dans le cerveau lorsque l’on est privé de sommeil. Ainsi, ses expériences, réalisées sur des chats, ont montré qu’après seulement six heures, la concentration d’adénosine s’accroit dans le cortex et le télencéphale basal (la partie basse et antérieure du cerveau), avant de retrouver son niveau normal si les animaux sont autorisés à dormir. Même constat chez des rats et des souris, qui dès le réveil, augmentent leur concentration d’adénosine de 20 %, puis de 40 % en cas de privation prolongée de sommeil.
Quand un neurone est actif, il utilise de l’ATP et rejette donc de l’adénosine, dont la quantité s’accumule donc avec le temps d’éveil de notre journée, de nos entraînements. Cette molécule se lie ensuite à des récepteurs (de type A1) portés par la surface des neurones de notre cerveau et s’y emboîte comme une clé dans une serrure. Par la suite le récepteur entraîne une chaîne de réactions biochimiques dans le neurone, qui finissent par amoindrir son excitabilité.
Il s’agit donc d’une rétroaction négative, ce qui signifie que l’activité des neurones entraîne la production d’un signal qui réduit leur activité : celle-ci ne peut donc pas s’emballer et a tendance, avec le temps, à s’atténuer. On est donc fatigué, et le sommeil est devenu nécessaire.
On peut comprendre pourquoi parfois il peut être difficile d’aller s’entraîner le soir, comme une sorte de surcharge mentale qui serait non seulement liée aux nombreuses tâches cognitives du cerveau dans la journée, mais aussi à ce taux d’adénosine qui pourrait être cumulé par le manque de sommeil cumulé les jours précédents.
Ici la résistance individuelle à la privation de sommeil est bien sûr différente selon nos profils génétiques ou épigénétiques. Mais d’autres facteurs interagissent pour nous envoyer des signaux de fatigue et nous dire de dormir.
Les protéines Bmal1
Elles agiraient dans les muscles pour provoquer davantage le sommeil - Étude de Ehlen J, Brager A, Baggs J, et coll. Bmal1 function in skeletal muscle regulates sleep. eLife 2017, 6:e26557, pp.1-14.
Ces études récentes ont montré que les souris dans lesquelles un gène appelé Bmal1 avait été complètement supprimé dorment plus que les souris qui ont encore le gène. Ces souris déficientes en Bmal1 réagissent également différemment à la perte de sommeil. Cependant, jusqu'à présent, on ne savait pas quels tissus et cellules porteurs de Bmal1 actif (ou « exprimé ») sont impliqués dans la régulation du sommeil.
Pour savoir si l'activité de Bmal1 dans le cerveau est suffisante pour se remettre d'une perte de sommeil, Ehlen, Brager et al. ont comparé des souris génétiquement modifiées qui n'exprimaient Bmal1 que dans le cerveau, ou seulement dans le tissu musculaire qui recouvre le squelette. Après que les souris ont été maintenues éveillées pendant six heures, leur sommeil a été surveillé en mesurant les signaux électriques à la surface du crâne. Contrairement à ce à quoi ils s'attendaient, Ehlen et al. ont constaté que les souris avec Bmal1 exprimé dans le muscle squelettique étaient capables d'avoir un schéma de sommeil normal, tandis que les souris avec Bmal1 exprimé dans le cerveau avaient un schéma de sommeil anormal.
D'autres expériences montrent que l'élimination de Bmal1 du muscle squelettique des souris a produit des habitudes de sommeil similaires à celles observées chez les souris qui manquaient complètement le gène Bmal1.
Ces résultats indiquent que le Bmal1 dans le muscle squelettique est important pour aider à réguler le sommeil, et que le signal de somnolence ne provient pas seulement du cerveau. Il s'agit de la première étude à montrer que le muscle squelettique peut réguler le sommeil. La prochaine étape consistera à identifier le signal spécifique que le muscle utilise pour déclencher le cerveau pour dormir.
Bibliographie
Claude Gronfier, Les mécanismes du sommeil (Le Pommier,2013)
Claude Gronfier, En finir avec le blues de l'hiver (Marabout, 2014)
Claude Gronfier, Evaluation des risques sanitaires liés au travail de nuit (Rapport Collectif, Anses, juin 2016)
Nick Littlehales, L'Art de mieux dormir, Editions Amphora, 2022
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