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Croyances et entraînement en trail : entre science et intuition

Photo du rédacteur: Eric LacroixEric Lacroix

@(AI)magination


« Pour examiner la vérité, il faut, une fois en sa vie, mettre toutes choses en doute autant qu'il se peut. » - René Descartes - Discours de la méthode



Par Eric LACROIX, le 1/12/2024


Pourquoi court-on ? Qu'est-ce qui nous pousse, au-delà de l'effort, à chercher cette subtile alchimie entre le dépassement de soi et le respect de ses limites ? 


Dans le monde du trail et de l'ultra-distance, les croyances, souvent invisibles, jouent un rôle central. Elles façonnent nos entraînements, orientent nos choix, et parfois nous égarent. Mais d’où viennent-elles ? Et surtout, que valent-elles face aux données scientifiques et à l’expérience empirique ?


La croyance est un double tranchant. Elle motive autant qu’elle limite. « Plus c’est long, mieux c’est », entend-on souvent. Ou encore : « No pain, no gain. » Des mantras qui résonnent dans les esprits, imprégnés d’une logique simpliste : celle de l’effort continu, du sacrifice glorifié. Mais à quel prix ? 


Si ces idées ont forgé des champions, elles ont aussi épuisé des corps et découragé des esprits. Là réside toute l’ambiguïté : les croyances peuvent être des moteurs puissants, mais aussi des freins subtils.


Dans cette quête de performance, la science semble offrir une boussole. VO2max, zones d’intensité, gestion de la charge : autant de données pour guider nos pas. Pourtant, la pratique ne se réduit jamais aux chiffres. 


L’entraînement, c’est aussi une question de sensibilité, de contexte, d’adaptation. Ce que montre la recherche, c’est que l’excellence naît souvent de l’interaction entre ces deux dimensions : la rigueur méthodologique et l’intuition personnelle.


Mais il y a un piège. Celui des modèles prescriptifs, souvent calqués sur les élites. L’illusion que reproduire les routines d’un Kipchoge fera de nous des champions. Pourtant, copier n’est pas comprendre. Appliquer aveuglément des méthodes pensées pour des organismes d’exception, c’est oublier l’essentiel : l’individu. Nous n’avons pas tous les mêmes ressources physiologiques, les mêmes contraintes ou les mêmes objectifs. Là où un athlète de haut niveau optimise chaque détail pour atteindre son sommet, l’amateur cherche avant tout à progresser sans se blesser, sans se perdre.


Alors, comment concilier ces dimensions ? Comment allier les certitudes offertes par la science et les nuances qu’impose l’expérience personnelle ? 


La réponse réside dans une approche équilibrée, critique et ajustée. Accepter l’incertitude, questionner les dogmes, et, surtout, écouter son propre corps. C’est là, dans cet espace entre la rigueur et l’intuition, que se joue la véritable quête de performance. Une quête où la science éclaire, mais où l’individu reste maître de son chemin.



Les croyances dans l’entraînement : une exploration critique

Pourquoi les croyances s’installent-elles si profondément dans nos pratiques sportives ? Est-ce leur simplicité rassurante, leur promesse de performance ou leur capacité à donner un sens à l’effort ? Qu’elles soient populaires, pseudo-scientifiques ou issues de concepts psychologiques mal interprétés, ces croyances façonnent nos entraînements autant qu’elles révèlent nos biais cognitifs et nos aspirations profondes.


Certaines croyances se propagent comme des évidences. « No pain, no gain », ce mantra célébrant la souffrance, ou encore l’idée que « plus c’est long, mieux c’est », valorisant l’accumulation aveugle de kilomètres. Ces affirmations, souvent séduisantes par leur simplicité, reposent rarement sur une base scientifique solide. Elles se nourrissent de récits héroïques, comme celui d’athlètes légendaires qui semblent transcender la douleur. Mais ces récits sont-ils universels ? Et surtout, sont-ils applicables à tous ?


La pseudoscience, quant à elle, s’immisce dans ces failles. Techniques miracles, gadgets promettant de décupler les performances, ou régimes restrictifs censés révéler un « potentiel caché » : autant de pratiques qui exploitent notre désir de contrôle. Les promesses sont grandes, mais les preuves faibles. Là où la science exige des études rigoureuses et des résultats reproductibles, la pseudoscience prospère sur des anecdotes, des témoignages isolés et des récits séduisants.


Des concepts psychologiques mal compris, mal appliqués ?

Des idées légitimes, comme la visualisation ou la mentalité de croissance, sont souvent mal interprétées. Visualiser sa réussite avant une compétition peut booster la confiance en soi, mais croire qu’imaginer suffit pour réussir relève de l’illusion. De même, adopter une mentalité de croissance – cette conviction que l’effort surpasse le talent inné – ne signifie pas ignorer les limites biologiques ou les besoins de récupération.


Ces malentendus prennent racine dans une simplification excessive de concepts complexes. Prenons l’exemple de la visualisation : si elle s’intègre dans un cadre d’entraînement global, elle peut affiner les gestes et réduire le stress. Mais isolée, elle devient un mantra creux, déconnecté de la réalité physique.


Les croyances populaires trouvent aussi un écho dans nos distorsions cognitives. Aaron Beck, pionnier de la thérapie cognitive, a mis en lumière des biais comme la surgénéralisation (tirer des conclusions universelles à partir d’un événement unique) ou l’inférence erronée (tirer des conclusions sans preuves suffisantes). 


Dans l’entraînement, ces biais se traduisent par des raisonnements tels que : « Cette séance difficile a porté ses fruits, donc plus je souffre, mieux je me porte. » Ou encore : « Si un athlète élite fait ça, c’est forcément la clé de la réussite. »


Ces raccourcis mentaux sont renforcés par l’illusion de connaissance : cette sensation trompeuse de comprendre un sujet simplement parce qu’on en a entendu parler ou lu un article superficiel. Les athlètes ou coachs convaincus de maîtriser des concepts scientifiques sans réelle expertise tombent souvent dans ce piège. Cette illusion alimente des pratiques mal adaptées, voire contre-productives.



Excès de confiance et effet Dunning-Kruger

C’est là qu’intervient l’effet Dunning-Kruger, ce biais selon lequel les novices surestiment leur compétence dans un domaine. Dans l’entraînement, cela se traduit par une surconfiance : l’idée que des solutions simples et universelles peuvent répondre à des réalités complexes et individuelles. Un athlète débutant peut par exemple croire qu’il suffit de copier les méthodes d’un champion pour obtenir des résultats similaires, ignorant les années d’expérience, le contexte spécifique et la génétique.


Mais pourquoi ces croyances persistent-elles malgré leurs limites évidentes ? La réponse réside en partie dans nos biais cognitifs.


Les récits captivants jouent un rôle clé dans la diffusion des croyances. Le storytelling, par sa capacité à simplifier et magnifier, donne un sens à l’effort. Le mythe du héros qui triomphe par la souffrance ou la discipline extrême résonne avec notre quête personnelle de dépassement. Nietzsche lui-même, en affirmant que « ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort », a légitimé l’idée que l’effort, même extrême, forge l’individu.


Nassim Nicholas Taleb reprend cette idée avec son concept d’antifragilité : l’idée que le stress, à dose modérée, renforce les organismes. Si ce concept est pertinent dans la planification de l’entraînement (progression par adaptation), il peut être déformé en croyance absolue. On oublie alors que l’antifragilité repose sur une dose maîtrisée de stress, et non sur une surcharge chronique.



Croyances et quête de sens : un lien indissociable

Pourquoi tenons-nous tant à ces croyances, même lorsqu’elles sont irrationnelles ? Peut-être parce qu’elles donnent un sens à nos efforts. Courir, c’est bien plus qu’un acte physique : c’est un dialogue avec soi-même, une quête de sens dans un monde souvent chaotique. Ces croyances, en nous offrant des repères, comblent notre besoin de cohérence. Elles permettent de transformer la douleur en progrès, l’effort en vertu, et l’entraînement en rituel.


Mais ces repères doivent être questionnés. Pour progresser, il est essentiel de naviguer entre science et intuition, entre rigueur méthodologique et esprit critique. La croyance a sa place dans l’entraînement, mais elle doit être éclairée par la réflexion et l’expérience. En cela, la quête de performance devient aussi une quête de lucidité.


Science et entraînement : des fondamentaux à la personnalisation

L’entraînement, malgré sa complexité apparente, repose sur des principes fondamentaux. Ces bases, pourtant simples, sont souvent éclipsées par la fascination pour des méthodes sophistiquées ou des modèles issus du haut niveau. Mais si la science éclaire notre compréhension des mécanismes de progression, elle doit être mise au service de l’individu, non de la standardisation.



Les principes fondamentaux de l'entraînement

Tout entraînement efficace repose sur quelques lois universelles. La surcharge progressive est l’une des plus importantes : pour progresser, l’organisme doit être soumis à des stimulations légèrement au-delà de ses capacités habituelles. 


Mais cette surcharge doit s’accompagner d’une récupération adéquate, sans quoi le stress devient destructeur. Ces deux principes, apparemment opposés, forment un équilibre délicat : c’est dans la récupération que la progression se consolide.


La variabilité des charges est un autre pilier. Si la répétition forge l’habitude, l’excès d’uniformité mène à la stagnation. Alterner les intensités, les durées, et même les environnements d’entraînement stimule des adaptations multiples. 


En trail, par exemple, l’alternance entre des sorties longues à faible intensité et des séances de côtes à haute intensité reflète cette logique.


Pourtant, ces principes ne suffisent pas s’ils ne sont pas accompagnés d’une auto-évaluation consciente. Apprendre à ressentir son effort – mesurer la fatigue musculaire, évaluer la qualité de sa récupération – est essentiel. 


Ici, la science fournit des outils précieux : montres connectées, tests de lactate ou mesures de fréquence cardiaque. Mais ces données doivent dialoguer avec une écoute fine de son corps. Un coureur qui ignore ses sensations au profit de chiffres peut se perdre dans une surcharge invisible, car la performance ne se résume pas à des données brutes.


Les limites des modèles de haut niveau appliqués à tous

Le succès des athlètes d’élite fascine. Qui n’a pas rêvé de reproduire les séances d’un Eliud Kipchoge ou d’adopter la rigueur spartiate des champions ? Pourtant, copier ces modèles est souvent une impasse. Pourquoi ? Parce que ces méthodes sont conçues pour des organismes exceptionnellement résilients, dotés de prédispositions physiologiques rares. Ce qui est optimal pour eux peut être excessif, voire dangereux, pour un amateur.


Prenons l’exemple du volume d’entraînement. Un marathonien de haut niveau accumule souvent plus de 700 heures par an, une charge inatteignable pour la plupart des coureurs amateurs, non seulement par manque de temps mais aussi à cause des contraintes physiologiques. Ignorer ses propres limites au nom d’un idéal mène au surentraînement ou à la blessure.


Le potentiel individuel est une clé sous-estimée. Chaque corps répond différemment aux stimuli. Certains progressent rapidement avec peu de volume, d’autres nécessitent des années pour développer une tolérance aux charges élevées. Savoir évaluer sa marge de progression – en termes de VO2max, d’économie de course ou de résistance mentale – est un prérequis pour construire un entraînement sur-mesure. La personnalisation n’est pas un luxe : c’est une nécessité.



L’hormèse et l’antifragilité : s’adapter pour devenir plus fort

La nature nous enseigne une vérité essentielle : ce qui ne nous tue pas, bien dosé, nous rend plus forts. Ce principe, connu sous le nom d’hormèse, explique comment de faibles doses de stress renforcent les systèmes vivants. Nassim Nicholas Taleb a élargi cette idée avec son concept d’antifragilité, où l’exposition à l’inconfort ou à la difficulté devient une opportunité de croissance.


En trail, ces principes se traduisent par des pratiques variées. Courir en montée pour renforcer les muscles et améliorer la puissance, s’entraîner sous la pluie pour développer une résilience mentale, ou alterner entre des sorties en altitude et en plaine pour stimuler l’adaptation physiologique. Ces ajustements, loin d’être accessoires, forgent un corps et un esprit capables de s’adapter à l’imprévu, une compétence essentielle dans une discipline où l’incertitude est omniprésente.


Mais attention : l’hormèse ne fonctionne que dans une zone d’équilibre. Une dose excessive de stress détruit au lieu de renforcer. Un entraînement trop intense, sans récupération, conduit à des inflammations chroniques ou des blessures. Ainsi, s’exposer à des contraintes doit toujours être suivi d’un temps pour les absorber.


Le défi de la personnalisation

Personnaliser l’entraînement, c’est accepter l’incertitude. Contrairement à une recette universelle, cela exige une écoute constante, une capacité à ajuster ses charges, et parfois l’humilité d’alléger son programme. C’est aussi adopter une vision à long terme. Comme le montrent les recherches [1], atteindre son potentiel maximal demande des années de progression régulière, non des solutions miracles.


L’entraînement est un art autant qu’une science. Il exige une compréhension des fondamentaux, mais aussi une capacité à les adapter. Chaque coureur, en fin de compte, est son propre laboratoire : un espace où science et intuition doivent collaborer pour révéler le meilleur de soi-même.

Les coachs et la prescription : entre autorité et scepticisme

Un coach est-il un guide ou un prescripteur ? La distinction peut sembler subtile, mais elle est essentielle. Le premier accompagne, éclaire le chemin, adapte les stratégies. Le second impose, parfois de manière rigide, des méthodes universelles, souvent issues de sa propre expérience ou de modèles préconçus. Mais dans un monde où l’individualité est la clé de la performance, la rigidité peut devenir un frein.


Le rôle du coach : guide ou prescripteur ?

Un coaching rigide présente un risque majeur : celui d’ignorer les spécificités de l’athlète. Chaque coureur a son propre passé, ses forces, ses fragilités. Prescrire sans écouter, c’est risquer de voir un athlète talentueux s’épuiser sur des séances inadaptées ou, pire encore, se blesser. 


Imaginez un coach qui impose un plan d’entraînement basé sur les méthodes d’un champion du monde. Ce plan peut être parfait pour l’élite, mais il peut aussi être toxique pour un amateur dont le corps n’a pas encore intégré les bases physiologiques nécessaires à ce type de charge.


Prenons également l’exemple d’un athlète débutant qui suit aveuglément des séances extrêmes parce qu’elles ont été validées par un athlète d’élite. Ce modèle risque de négliger son niveau initial, sa tolérance à la charge ou même son équilibre vie personnelle-vie sportive. La conséquence ? Fatigue, frustration, et parfois abandon.


L'importance d’un regard sceptique et nuancé

Un bon coach ne doit pas seulement prescrire : il doit questionner. Adopter un regard sceptique sur les méthodes, y compris celles qui semblent les mieux établies, est essentiel. Le doute ne doit pas être vu comme une faiblesse, mais comme un outil de progrès. 


Pourquoi ce modèle fonctionne-t-il ? Est-il applicable dans ce contexte précis ? 


L'athlète dispose-t-il des ressources nécessaires pour en tirer profit ? Ce questionnement n’est pas une remise en cause de la science, mais une manière de s’assurer qu’elle s’applique de manière juste.


Le coaching, dans sa forme la plus noble, n’est pas une autorité. Il est une collaboration. Cela exige de cultiver une relation de confiance, où l’athlète peut exprimer ses ressentis et remettre en question certaines pratiques. Une collaboration où l’objectif n’est pas seulement de performer, mais aussi de comprendre pourquoi on agit de telle ou telle manière.


La nécessité du feedback et de l'ajustement

Un bon entraîneur est un observateur. Il ne se contente pas de donner des consignes, il écoute. Cette écoute passe par des techniques d’adaptation qui permettent de comprendre les besoins individuels de chaque athlète. 


Les données objectives – fréquence cardiaque, VO2max, temps de récupération – sont des outils précieux, mais elles doivent être croisées avec des ressentis : comment l’athlète perçoit-il sa séance ? Quelle est son énergie au quotidien ? Ces indicateurs subjectifs, souvent négligés, sont pourtant fondamentaux.


Prenons l’exemple d’un coureur de trail préparant son premier ultra. L’entraînement impose des semaines intenses, mais l’athlète se sent nerveusement vidé. Un coach rigide imposerait la continuité du plan. Un coach à l’écoute, lui, proposerait un ajustement : une semaine de relâche pour permettre au corps de récupérer et à l’esprit de se régénérer. Ce dialogue entre le plan et la réalité est ce qui distingue un entraînement standardisé d’un entraînement personnalisé.


Donner du sens à l’entraînement : co-construction d’objectifs réalistes

Au-delà des chiffres et des séances, le coach a une mission plus vaste : donner un sens à l’effort. Pourquoi s’entraîne-t-on ? Quel est l’objectif final ? Ces questions, simples en apparence, sont souvent éludées. Pourtant, un entraînement sans but clair est voué à l’échec. Construire des objectifs, c’est un acte partagé entre l’entraîneur et l’athlète. Cela ne consiste pas seulement à viser une performance chiffrée, mais à aligner l’entraînement sur les valeurs et les désirs de l’athlète.


Cette co-construction renforce la motivation. Un athlète qui comprend pourquoi il fait une séance difficile – parce qu’elle l’amènera à surmonter un passage clé de son prochain ultra – est bien plus enclin à persévérer qu’un athlète exécutant des consignes mécaniques. C’est ici que le coach devient un médiateur du sens, un traducteur entre la science et les aspirations personnelles.



Quand le doute devient constructif

Le doute est souvent perçu comme une menace. Pourtant, il peut être une force. Questionner les pratiques établies, tester de nouvelles approches, apprendre des échecs : c’est ainsi que le sport progresse. La science elle-même ne cesse de se remettre en question pour affiner ses modèles. Pourquoi en serait-il autrement dans l’entraînement ?


La boucle apprentissage-échec-adaptation est un modèle puissant. Prenons l’exemple d’un athlète qui échoue à terminer un ultra. Loin d’être un échec définitif, cet événement peut devenir une source d’apprentissage. Pourquoi cet abandon ? Était-ce une préparation inadéquate, une nutrition mal gérée, ou un objectif trop ambitieux ? Analyser, ajuster, recommencer : c’est ainsi que l’échec se transforme en levier de progression.


Le rôle du coach est ici crucial. Il ne s’agit pas seulement de réconforter, mais d’aiguiller l’athlète dans cette démarche réflexive. Chaque échec devient alors une pierre dans la construction d’une performance future.


Être coach, c’est marcher sur un fil : entre autorité et remise en question, entre science et intuition. C’est accepter que la vérité absolue n’existe pas, mais que l’exploration des incertitudes mène souvent aux découvertes les plus riches.


Le doute n’est pas une faiblesse : il est le moteur d’une évolution continue. Un bon coach n’a pas toutes les réponses. Il pose les bonnes questions.

Les dimensions de la performance en trail

La performance en trail ne se résume pas à courir vite ou loin. Elle est un puzzle complexe, une alchimie de facteurs physiques, psychologiques et contextuels.


Dimension

Description

Exemple Pratique

Physique

Entraînement structuré, cycles adaptés, récupération active. Construire les bases pour des intensités plus élevées.

Travail en endurance fondamentale pour développer les capacités aérobies.

Psychologique

Auto-efficacité, résilience, gestion du stress et des émotions. Cultiver la force intérieure pour mieux performer.

Exercices de visualisation pour préparer les moments clés d'une course.

Contextuelle

Influence de l'environnement, équipement, et communauté. Naviguer les imprévus tout en s'appuyant sur un cadre humain.

Adapter son équipement en fonction des conditions météorologiques ou du terrain.


Créer un système de progression personnel

La performance, pour être durable, doit être un projet personnel. Un athlète ne progresse pas en copiant mécaniquement les séances d’un champion. Il doit définir ses propres indicateurs de performance : est-ce le plaisir à courir un sentier isolé ? L’énergie retrouvée après une semaine exigeante ? Le sentiment d’accomplissement face à une ascension redoutée ?


Pour progresser, il faut documenter. Les séances, bien sûr, mais aussi les sensations. Quel était le ressenti après cette course sous la pluie ? Pourquoi ce plan d’entraînement a-t-il échoué avant cette compétition clé ? En consignant ces éléments, on passe de l’intuition à une analyse plus fine.


Prenons l’exemple d’un traileur débutant qui décide de noter ses entraînements. Il remarque que les semaines où il ajoute une séance de yoga, ses performances en montée s’améliorent. Cet exercice ne figurait pas dans les manuels, mais il est devenu un pilier de sa préparation. La documentation, dans ce cas, a permis de révéler une connexion inattendue entre deux dimensions de la performance.


@Marchal.P

L’approche holistique de la performance, le corps comme un tout

La performance ne naît pas d’une seule variable. Elle est le fruit d’un équilibre global. Trop souvent, l’entraînement en endurance est réduit à une accumulation mécanique : kilomètres parcourus, calories ingérées, heures de sommeil comptées. Pourtant, ces données ne prennent sens que lorsqu’elles sont reliées à une vision d’ensemble.


Repenser la fatigue, par exemple, peut être un levier puissant. Longtemps perçue comme un ennemi, elle est aujourd’hui reconnue comme un signal d’alerte mais aussi un indicateur de progression. Chaque séance laisse des traces, mais ce sont ces micro-lésions, ces adaptations, qui construisent un corps plus fort. L’hormèse, ce concept selon lequel de faibles doses de stress renforcent l’organisme, illustre bien cette idée.


En trail, la nature impose ses lois : le vent gifle, la pluie glace, le soleil brûle. Mais c’est précisément cette adversité qui forge l’athlète. Un corps et un esprit confrontés à des conditions difficiles apprennent à s’adapter, à s’affirmer.

Un exemple concret ? L’entraînement en altitude. Cette pratique impose une hypoxie, un stress temporaire, mais elle oblige le corps à s’ajuster en augmentant sa production de globules rouges. Résultat : une capacité d’endurance accrue. Ce processus est un rappel que la performance n’est pas un état statique. Elle est un mouvement constant, une quête d’adaptation.


La performance en trail n’est pas un chiffre, une médaille ou un record. C’est un voyage. Chaque sentier parcouru, chaque crête franchie, chaque fatigue surmontée raconte une histoire. L’enjeu, pour chaque athlète, est de donner du sens à cette quête. Pourquoi s’entraîne-t-on ? Pourquoi cherche-t-on à repousser ses limites ? C’est dans cette réflexion, dans cette exploration des dimensions multiples de la performance, que se dessine une pratique riche, équilibrée et durable.


Vers une pratique éclairée : entre intuition et rigueur

L’entraînement, comme toute démarche humaine, oscille entre deux pôles : celui de la rationalité rigoureuse et celui de l’intuition. Mais faut-il vraiment choisir entre les deux ? N’est-il pas possible, et même souhaitable, d’articuler croyances personnelles et savoir scientifique pour construire une pratique plus éclairée, plus humaine, et, paradoxalement, plus efficace ?


Les croyances ont souvent mauvaise presse dans le monde du sport. Pourtant, elles ne sont pas toutes nuisibles. Prenons l’exemple des rituels. Avant une course, certains athlètes récitent une phrase motivante ou effectuent une routine bien rodée. Irrationnel ? Peut-être. Utile ? Absolument. 


Les neurosciences montrent que ces rituels, en créant un sentiment de contrôle, réduisent l’anxiété et augmentent la concentration. De même, la visualisation, lorsqu’elle est bien employée, peut renforcer la confiance en soi et améliorer les performances. Imaginer un sentier escarpé avant de l’affronter peut préparer le cerveau à coordonner ses réponses motrices.


Mais les croyances, pour être utiles, doivent s’ancrer dans une réalité tangible. La science offre cette base, ce cadre. Par exemple, les données sur la surcharge progressive ou sur l’importance des cycles de récupération sont inattaquables. Pourtant, une rigueur excessive, un excès de données, peuvent tuer la spontanéité. Un athlète ne doit pas devenir l’esclave de ses capteurs. Laisser une place à l’intuition, c’est parfois écouter son corps plus que sa montre.


@Des Bosses et des Bulles

Développer son esprit critique

Si l’intuition a sa place, l’esprit critique doit rester le phare qui guide la pratique. Trop souvent, les traileurs se laissent séduire par des solutions miraculeuses ou des tendances à la mode. Une chaussure promettant une propulsion révolutionnaire ? Un plan d’entraînement calqué sur celui d’un athlète élite ? Tout mérite d’être interrogé.


Mais comment évaluer une méthode ou un conseil ? Revenons aux bases du scepticisme. Posez des questions simples : Quel est le fondement de cette idée ? Quelles preuves soutiennent cette méthode ? A-t-elle été testée dans des contextes variés ? Ensuite, expérimentez : Quels résultats obtenez-vous en appliquant cette technique ? Par exemple, si une nutrition particulière semble prometteuse, essayez-la d’abord sur une sortie courte. L’expérimentation personnelle, sans biais de confirmation, est un outil précieux.


Un esprit critique, cependant, n’est pas un esprit fermé. Comme l’explique le philosophe Francis Wolf, la sagesse réside dans l’équilibre : ne rien accepter sans examen, mais ne rien rejeter par principe. C’est dans ce dialogue entre ouverture et prudence que l’on progresse.


Le trail, et a fortiori l’ultra-distance, est une école de l’incertitude. Quel athlète n’a pas ressenti, au milieu d’une ascension interminable, cette question lancinante : Pourquoi suis-je là ? Pourquoi continuer ? Ces moments, loin d’être des obstacles, sont des opportunités. Ce n’est pas seulement une performance physique qui se joue, mais une exploration intérieure.


S’épanouir dans l’incertitude, c’est accepter qu’il n’existe pas de plan parfait, pas de chemin tout tracé. Chaque traileur est un monde à lui seul. Ce qui fonctionne pour un ne fonctionne pas forcément pour un autre. L’important n’est pas seulement d’atteindre un sommet, mais de célébrer le chemin parcouru. La progression n’est pas toujours linéaire, et c’est dans ce chaos apparent que se cache souvent le sens.


En définitive, une pratique éclairée ne rejette ni les croyances, ni la science. Elle les intègre, les interroge, les combine. Elle invite à une posture d’apprentissage permanent. S’entraîner, c’est osciller entre la certitude et le doute, entre le rigoureux et l’instinctif. Mais au fond, c’est bien cette danse entre intuition et rigueur qui fait du trail, et de la vie, une aventure si fascinante.

Conclusion : Une performance éclairée, un potentiel global

La performance, en trail comme dans toute entreprise humaine, est bien plus qu’une addition de kilomètres parcourus ou de watts produits. Elle est l’art d’exploiter son potentiel global : physique, mental, émotionnel. Chaque sortie, chaque défi est une invitation à conjuguer ces dimensions. Le corps, moteur infaillible si on le respecte ; l’esprit, boussole inestimable quand il est aiguisé ; l’émotion, énergie brute qui, bien canalisée, transcende l’effort. Mais encore faut-il savoir jongler entre science et intuition, certitudes et doutes.


Douter, c’est accepter qu’aucune méthode n’est universelle. C’est questionner les croyances qui, parfois, nous emprisonnent. Mais douter ne doit pas paralyser. Il s’agit d’expérimenter, de chercher, de tester les concepts scientifiques et les intuitions personnelles, de trouver ce qui résonne avec son corps et son esprit. L’athlète éclairé ne se contente pas d’appliquer, il construit son propre savoir en marchant.


Progresser, enfin, n’est pas seulement une question de chiffres ou de résultats. C’est une dynamique, une façon de se réinventer dans l’effort. C’est transformer notre doute intérieur en opportunité d’apprentissage. Comme dans l’ultra-distance, ce n’est pas la ligne d’arrivée qui compte le plus, mais tout ce qui se tisse entre le départ et l’arrivée : le faire face, l’épanouissement, la joie de se dépasser.


En adoptant une pratique éclairée, faite de rigueur et de liberté, de science et d’intuition, chaque traileur peut trouver son chemin singulier vers la performance. Non pas celle dictée par des chiffres, mais celle qui résonne avec son humanité. Après tout, courir dans les sentiers, en montagne, c’est bien plus qu’un sport : c’est une quête, un art de vivre.



(1) Haugen, T. A., Sandbakk, Ø., Seiler, S., & Tonnessen, E. (2022). The Training Characteristics of World-Class Distance Runners: An Integration of Scientific Literature and Results-Proven Practice. Sports Medicine, 52(5), 901-919. Cette revue de littérature explore les caractéristiques de l'entraînement des meilleurs coureurs de fond et met en évidence l'importance de la progression régulière et structurée sur plusieurs années pour atteindre un niveau d'élite.



Bibliographie


Ouvrages :

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Articles et chapitres :

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