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Photo du rédacteurEric Lacroix

Comment gérer, consciemment, sa (ses) douleur(s) en course

Dernière mise à jour : 20 févr. 2022



"La douleur est inévitable. La souffrance vient en option" - Haruki Murakami

"La douleur ne serait pas devenue la souffrance, ce qui n’aurait pas été un mal quand on y songe, mais plutôt un avantage ambigu dans la mesure où le plaisir n’aurait pas été du bonheur non plus" - Antonio DAMASIO


"La douleur était une unité de mesure par rapport à ce que je faisais. Dans ma discipline lactique, violente, l’entraînement consistait à faire reculer la barrière de la douleur. C’était celui qui acceptait le mieux la douleur, qui pouvait réfléchir avec, qui arrivait à gagner. Dans la pratique, ça se passe comme cela. Gagner par la douleur. Faire reculer le seuil de la souffrance tout en étant efficace. C’est la culture de la souffrance" - David DOUILLET


Définir la douleur est toujours très délicat, voir une gageure. Décrite comme une sensation ou une impression pénible ressentie par un individu (Le Grand Robert, 2017), la douleur est tout à la fois une expérience désagréable de notre vie objective, que tout le monde éprouve à un moment ou à un autre, mais aussi un élément très subjectif car la sensation perçue comme douloureuse est évidemment très dépendante de l’environnement dans lequel on se situe.


La majorité des douleurs ressenties, fort heureusement, s’estompent avec le temps. Ce n’est malheureusement pas le cas lorsqu’il s’agit de douleurs d’origine neuropsychiatrique où le système central (moelle épinière et cerveau) est impliqué. Dans ce type de douleurs, les patients sont prêts à tout pour faire disparaître l’impression douloureuse, même à s’anesthésier pour obtenir la rémission (1).



Acceptes-tu la douleur dans l'effort ?

La douleur joue un rôle d’alerte pour la conscience de l’individu. Et il est probable que les organes sensoriels émettent des signaux beaucoup plus discrets lorsqu’il s’agit d’une modification plus discrète que celle entraînée par la lésion ou l’inflammation.


En fonction de ces informations, l’appareil psychique analyse les messages reçus en fonction de la sensibilité propre de la personne.


Il semble donc exister un degré d’acceptation très personnel de la douleur dans l’effort, qu’il soit compétitif ou effectué à l’entraînement. C’est aussi une source de motivation pour progresser, mais aussi pour éviter d'avoir recours à des aides exogènes comme par exemple les corticoïdes, de plus en plus présents dans les épreuves d'ultra endurance.


En effet, la tentation d’avoir recours à des substances et procédés dopants est réelle pour être plus compétitif et, s’épargner la souffrance des entraînements. Les demandes aux médecins généralistes de produits d’aide à la performance par les sportifs sont fréquentes. En tête du classement, on retrouve les vitamines et les compléments nutritionnels ; suivi par les stimulants, les anti-douleurs et les anabolisants ; et enfin à un degré moindre les corticoïdes, les stéroïdes et autres hormones (2)


Homéostasie, valeur et conscience

Selon Antonio DAMASIO : "Ce que nous en sommes venus à considérer comme valable, en termes de bienfaits ou d’actions, est directement ou indirectement lié à la possibilité de préserver la fourchette homéostatique à l’intérieur de l’organisme vivant"(3)


Cela veut dire que notre organisme est en en perpétuelle recherche d'une régulation optimale de la vie, et donc qu'il doit aussi lutter lorsqu'il est proche de la zone dangereuse, zone qui peut entraîner la maladie, voir la mort.


Il semble donc raisonnable de considérer que les bienfaits et les actions induisant une régulation optimale sont les plus valables, même dans notre pratique sportive.


Ainsi nous savons comment diagnostiquer le secteur optimal de la fourchette homéostatique avec diverses mesures, réalisées notamment en laboratoire (marqueurs de fatigue musculaire, de fatigue cardiaque... ). Mais ce diagnostic est plus délicat lorsqu'il s'agit d'exprimer la douleur ou la souffrance de manière consciente.


Ainsi les fourchettes optimales s’expriment dans notre esprit conscient à travers des sentiments agréables, et les fourchettes dangereuses par des sentiments déplaisants, voire douloureux.


Antonio DAMASIO ajoute même que "les fonctionnements optimaux de l’organisme, qui se traduisent par des états vitaux efficients et harmonieux, constituent le substrat même de nos sentiments de bien-être et de plaisir. Ce sont les fondements de l’état que, dans des conditions élaborées, nous appelons le bonheur".


Par contre, les états vitaux désorganisés, inefficients et disharmonieux, les signes avant-coureurs de la maladie et de l’échec du système, constituent le substrat des sentiments négatifs, dont, comme le notait finement Tolstoï, il existe bien plus de variantes que de la forme positive – une gamme infinie de douleurs et de souffrances.



Agir sur la (ou les) douleur (s)

Nous l’avons compris, le mental, dans une forme de prise de conscience (que nous définirons dans un autre article), peut tout à fait nous aider à gérer la douleur et donc agir directement sur notre comportement, notamment en procédant par une suite logique d’actions telles que :

  • Agir sur les pensées : en identifiant l’origine de la douleur corporelle, on peut juger à quel endroit elle se situe ;

  • Agir sur les images : en analysant les causes possibles, il est tout à fait possible de réaliser un inventaire des problèmes rencontrés (entraînements trop intensifs les jours précédents, matériel défectueux, mauvaise alimentation...) ;

  • Agir sur le dialogue interne : en intégrant la douleur comme une composante de la pratique de la course à pied et en la représentant comme une possible « compagne de course », on accepte plus volontiers un certain degré de cette douleur dans l’effort. On peut également agir sur des ressources mentales en parallèle, pour brouiller un peu les pistes du cerveau comme l’auto-efficacité (je suis capable de...), l’acquisition d’une compétence (je suis souple et économique en marchant), provoquer une humeur (je suis détendu en descente, et j’aime ça), ou bien dans la gestion d’effort (je tiens bon jusqu’au prochain ravitaillement) ;

  • Agir sur le niveau d’énergie : donner du sens au fait de surmonter la douleur pour maintenir une performance et la sublimer.


ll faut bien comprendre que le fait de lutter contre la douleur est plutôt une grosse source de tensions et de dépense d’énergie. En restant calme, et en tâchant de la diminuer progressivement on se donne de bonnes chances de l’estomper, parfois même de la faire disparaître.


Ainsi, être au plus proche de sa douleur, la décrire, lui laisser prendre la place qu’elle doit prendre est une piste sur laquelle il faut tenter d’évoluer. Car cette douleur en course est bien souvent une sensation ponctuelle et il est bien difficile de savoir comment elle va évoluer.


Il existe également quelques outils permettant de gérer un passage délicat. Et on l’oublie trop souvent, cela peut être également travaillé à l’entraînement comme :

  • La respiration : le fait d’accéder à une bonne respiration peut conditionner l’équilibre physiologique, psychique, mental et surtout émotionnel (voir cohérence cardiaque). C’est donc un élément très important, notamment lorsque l’on travaille surtout sur la phase d’expiration en courant. Jean-Jacques Padel, excellent marathonien Lyonnais dans les années 1990 (2h16’11’’ au marathon), expliquait déjà à cette époque qu’il adoptait une sorte de méthode de "rebirthing" lorsqu’il commençait à ressentir des douleurs et une grande fatigue. En forçant un peu sur l’expiration, cela lui permettait de se focaliser sur l’oxygénation de son corps et de retrouver ce que l’on appelle aussi le « second souffle ». En effet, cette phase de respiration un peu plus forcée permet de rechercher le relâchement du corps et donc d’agir sur le tonus (on a tous en mémoire notre kiné qui nous demande de souffler très fort, et d’attendre le final de cette expiration pour nous faire craquer le dos !) ;

  • La bascule attentionnelle : c'est un exercice de synchronisation des appuis avec son souffle, comme un petite musique rythmée, comme par exemple sur une montée longue (notamment lors d’entraînements Trail en up and down). On peut également se chanter une chanson ou se reconnecter avec des émotions fortement positives vécues auparavant dans des courses qui nous ont produit un grand plaisir ;

  • L’auto-suggestion : la suggestion du chaud ou du froid peut provoquer ce ressenti (visualisation), donc on peut avancer que tous les processus personnels d’auto-suggestions peuvent permettre de diminuer la sensation subjective de la douleur ;

  • La musique : qui est en effet un puissant stimulant car c’est aussi un puissant switch sensoriel, le cerveau régulant ainsi le maintien ou l’arrêt de l’exercice. Cependant sur des épreuves très longues, elle pourrait également saturer la commande et serait donc néfaste à une véritable aide dans la gestion d’une défaillance.

  • L'hypnose et l'auto-hypnose : si la validation expérimentale doit se poursuivre, un fait est incontestable: au moins dans certains cas, quelque chose agit dans l’hypnose. Dans le cas du traitement de la douleur, la transe hypnotique entraînerait une déconnexion partielle des sensations corporelles, tant la personne est focalisé sur son monde intérieur. Plusieurs expériences utilisant l’IRM fonctionnelle ont montré que cela passe par une modulation des connexions entre les différentes zones impliquées dans la perception de la douleur, sans que l’on en comprenne encore complètement tous les mécanismes.

Pour conclure, il nous semble que pour être efficace dans une bonne gestion de la douleur en course, il est nécessaire de « construire sa bulle » en y associant des routines incontournables comme des échelles de ressentis personnels et un travail sur son souffle.



Exemple d'échelles de douleur

On peut classer les différentes formes de douleur sur une échelle progressive, allant de la douleur supportable jusqu’à la douleur insupportable et handicapante. C’est en quelque sorte un signal qui est envoyé au cerveau pour l’évaluer et qui est constitué de trois niveaux.

Signal niveau 1: l’athlète ressent une douleur légère qui est le signe d’une douleur faible, gênante, mais qui ne l’empêche pas de continuer à courir. Dans ce cas, il peut continuer, mais a l’impression de ne pas être en pleine possession de ses moyens.

Exemple : le coureur peut exprimer de l’énervement, de l’agacement ou de la décon- centration et il va répéter à son entourage « qu’il en a vraiment ras-le-bol d’avoir cette douleur perpétuelle au genou ».

Signal niveau 2 : l’athlète ressent une douleur chronique qui devient récurrente lors de diverses compétitions ou entraînements et qui peut l’empêcher de courir. Cette douleur est suffisamment forte pour qu’il ne puisse pas prendre le départ ou qu’il soit contraint à l’abandon pendant la course.

Exemple : on voit plus souvent des attitudes de découragement et un doute sur la capacité de pouvoir recourir sans douleur, avec des remarques du genre : « De toutes façons, ma blessure ou mon mal de dos ne s’arrêtera jamais ». C’est aussi bien souvent une excellente excuse pour justifier une contre-performance, voire pour entretenir une spirale négative dans lequel le pratiquant s’auto-enferme ».

Signal niveau 3 : l’athlète ressent une douleur aigüe où il devient impossible pour lui de poursuivre l’effort, voire de lutter dans la course car la douleur devient insurmontable. La seule solution qui paraît raisonnable est donc l’arrêt définitif. L’athlète doit ici avoir conscience de stopper l’effort et à se réinvestir dans des soins et une ré-athlétisation (en suivant par exemple l'excellent protocole de la "Clinique du coureur" avec "Peace and Love"). En effet, l’investissement affectif mis dans la pratique de la course à pied devenant impossible pour des raisons de santé, il doit donc le reporter dans une pratique annexe.

Exemple : le coureur peut se sentir abattu, parfois impuissant, ce qui peut déclencher chez lui des accès de colère contre tout ce qui tourne autour de sa pratique. Son comportement est alors quelque peu irrationnel, car il peut chercher des solutions soit disant rapides, voire miraculeuses, comme l’utilisation de subterfuges pour tenter d’inhiber la douleur (produits para-médicaux, recettes de grands mères). Ces modifications entraînent souvent une mauvaise analyse des paramètres de l’entraînement et surtout de l’objectif que l’on s’est fixé qui est aussi de rester en forme et en bonne santé. Cette attitude génère ainsi de mauvaises prises de décision et entraîne bien souvent de mauvaises performances.

Quelle que soit la forme de la douleur, on observe que celle-ci engendre chez le coureur des modifications de comportements plus ou moins importantes. Ces modifications peuvent apparaître aussi bien pendant l’entraînement que pendant la compétition. En fonction de l’intensité de la douleur ressentie, on peut ainsi observer des changements de comportements qui peuvent être soit de l’ordre des excitations, soit de l’ordre des inhibitions.

Dans tous les cas cela se traduit par :

  • Une détérioration de la performance ;

  • Des pensées, voire des images negatives ;

  • Un dialogue inhibant ;

  • Une démotivation qui entraîne une baisse du niveau d’activation minimum nécessaire.

Ainsi, la réflexion consciente, voir la méditation ne peuvent pas guérir, mais elle peuvent atténuer la douleur chronique et la souffrance émotionnelle qui en découle.


Références

(1) Bruno Millet-Ilharreguy, Les désordres du cerveau émotionnel, Odile Jacob, 2021

(2) Mathieu Huguin, Corticoïdes et dopage sportif: justification de l’instauration d’un contrôle antidopage pour ces produits et réflexion sur les stratégies et les outils de ce contrôle, Sciences pharmaceutiques. 2010. hal-01738826

(3) Antonio Damasio, L'autre moi-même, Odile Jacob, 2010


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