Pour réaliser une performance en running, il est nécessaire non seulement de pouvoir courir vite, mais il faut également tenir la distance. Cela veut dire qu’il est important de pouvoir s’économiser tout au long de l’épreuve. En fait, lorsque l’on s’entraîne en course à pied on évoque en priorité le développement de la VMA qui en est l’élément incontournable. Bien que l’on soit conscient qu’il est un bon indicateur de la performance en endurance, on ne peut cependant pas prédire qu’il sera le seul garant de la réussite en compétition.
Pour réaliser une performance en course à pied de plus ou moins longue distance certains paramètres incontournables interviennent comme :
- La capacité à être endurant sur une haute valeur de son potentiel aérobie, c’est-à-dire pouvoir tenir un pourcentage élevé de son VO2max sur l’ensemble de la course,
- Celui de renouveler en permanence, et de façon économique, l’énergie de la contraction musculaire, tout en encaissant les chocs liés aux répétitions du pattern gestuel de la course à pied (notion de coût énergétique).
Il est important de pouvoir économiser son réservoir énergétique
Ainsi, quand bien même est-il est primordial de posséder un gros moteur (V02max), il est néanmoins important de pouvoir économiser son réservoir (les ressources énergétiques en quelque sorte). C’est tout l’intérêt du travail sur l’économie de course (ou EC) qui ouvre ici un vaste chantier sur lequel les entraîneurs et les chercheurs tentent d’apporter diverses contributions.
En tous les cas, ce secteur d’optimisation de la performance dans les courses longues conduit de nombreux chercheurs à tenter des comparaisons sur les mécanismes de fonctionnement entre les coureurs économiques et ceux qui ne le sont pas. On s’est aperçu par exemple que les Africains de l’Est possédaient une économie de course extraordinairement basse, comme par exemple l’Érythréen Zersenay Tadese, plusieurs fois champion du monde du semi-marathon qui peut maintenir une vitesse très élevée tout en consommant à chaque kilomètre beaucoup moins d’oxygène que la majorité des coureurs. La référence internationale se situant, selon le chercheur Grégoire Millet du laboratoire de l’Université de Lausanne (UNIL), à des valeurs se situant autour des 160-170 ml/kg/km. Ce qui est surprenant c’est que comparé à un groupe de coureurs élites caucasiens, comme par exemple le récent vainqueur de l’Ultra Trail du Mont blanc, Xavier Thevenard, qui possède une EC de plus de 200ml/kg/km, la différence est très nette.
En fait, on aurait pu croire le contraire. En effet, réaliser l’exploit de couvrir pendant 20 heures les 10000m de dénivelé nous suggère plutôt des capacités à pouvoir tenir longtemps un pourcentage élevé de son potentiel aérobie. Pourtant malgré une très bonne VO2 max (78 ml/min/kg), un seuil élevé (87%) et des ressources musculaires importantes (raideur efficace et faibles oscillations verticales) les valeurs affichées de l’EC de Xavier Thevenard restent en deçà des 200ml/kg/km. Certes il est délicat de comparer des allures réalisées à 21km/h sur la route à celles réalisées à 9km/h sur des sentiers abrupts et techniques avec des sollicitations musculaires différentes. Mais il faut rester aussi très optimiste à l’idée que ce n’est pas l’unique VMA qui va vous permettre de progresser en course à pied, et qu’il existe bien d’autres voies d’entraînement s’ouvrant aux coureurs de tous niveaux, et notamment celle de l’économie de course.
De nombreuses études réalisées chez des coureurs de sprint, demi-fond et marathon ont ainsi montré que les plus économes sont en général les marathoniens. Ils utilisent environ 5 à 10% d’énergie en moins que les coureurs de demi-fond et de sprint. Cependant l’économie de course n’a véritablement été étudiée qu’à des vitesses relativement faibles pour ces athlètes (10 à 19km/h)[1]. De plus, seules un nombre limité d'études ont utilisé une approche exploratoire, interdisciplinaire, englobant des paramètres physiologiques comme la flexibilité, la cinématique (description du déplacement) ou la cinétique (forces qui engendrent le mouvement) qui puissent permettre d’explorer des pistes éventuelles de progression sur une économie d’effort élevée.
La synthèse sous forme de tableau, ci-dessous, du professeur Australien Philo Saunders nous permet cependant de constater qu’il existe une véritable diversité d’éléments dans ce secteur. Le choix des modes d’entrée est très vaste et laisse augurer de belles perspectives d’avenir pour les entraîneurs.
Facteur influençant l’économie de course (inspiré de Saunders et al., Sports Med. 2004; 34
Au regard de ce schéma, on voit bien qu’il est difficile de maîtriser tous les paramètres de l’économie de course. Néanmoins, il nous semble intéressant de rechercher des pistes transversales qui puissent permettre à des coureurs de tous niveaux de s’y exercer.
Au-delà de gros enjeux dont celui de la prévention de certaines blessures, il nous paraît souhaitable d’initier une démarche concrète dans ce sens puisqu’elle permet de tendre vers une certaine efficience locomotrice[2] de la course à pied en général.
Ce qui fonde l’efficacité de la foulée est fortement liée à la raideur musculaire
Les chercheurs Kram et Taylor ont constaté en 1990, que le coût du déplacement chez les animaux est déterminé principalement par le coût du poids du corps (supporté) et par le temps pendant lequel la patte se pose sur le sol. À l’exemple du kangourou, la baisse du coût énergétique en course passe donc par un appui fort et rapide au sol suivi d'un envol permettant un grand temps de récupération.
L’appui des pieds au sol n’est en fait que le maillon d’une chaîne de transmission des forces. Ce qui fonde l’efficacité, c’est toute l’organisation corporelle autour de cet appui selon les moments de la course et c’est ce que l’on nomme la raideur musculaire. Ici, la qualité du gainage (raideur musculaire) et la synchronisation des segments libres sont en fait déterminants. On sait ainsi que le coût énergétique de la course est fortement dépendant de ce coût à générer des forces pendant la phase de soutien et donc inversement proportionnel au temps de contact, qui lui doit être exécuté plutôt avec une prise d’appui sur l’avant-pied. D’où les partisans désormais de plus en plus nombreux qui militent pour le minimalisme, appelé aussi « barefoot » (chaussures très légères, sans amorti, voire sans chaussures...).
L’entraînement avec des exercices pliométriques et excentriques semble améliorer cette EC, surtout lorsqu’ils sont effectués à haute intensité (environ 90% du VO2 max). On sait également qu’une seule séance de course en descente atténue les modifications des marqueurs indirects de dommages musculaires et émousse les changements de l’EC[3], information intéressante quand bien même vous n’êtes pas un coureur de Trail.
Mais si on part du principe que le rendement musculaire en course à pied est aussi lié au stockage-restitution de l’énergie élastique dans la composante élastique des extenseurs des genoux[4] il est possible qu’un travail orienté en co-activation musculaire des membres inférieurs puisse également contribuer à améliorer ce secteur. En fait lorsque vous contractez un muscle, vous compromettez en même temps l’os, qui emmagasine de l’énergie, ce qui permet alors facilement la suite du mouvement : les muscles restent au tonus nécessaire et travaillent comme les rayons d’une roue de vélo. La jante représente en fait l’élément rigide du corps (les os) alors que les rayons en sont les éléments flexibles (les muscles), d’ou le concept de biotenségrité[5]. L’impulsion énergétique vient de différents facteurs (inertie, gravité...), et ce sont alors les os qui fournissent la majeure partie du rebond. Ils ne transmettent pas la charge directement à travers l’articulation, mais le font par l’intermédiaire des éléments en tension (ligaments -tendons - fasciae -disques).
Un exemple concret : Le Sursaut en Squat Jump
Pour permettre de travailler l’économie de course en même temps que le renforcement des muscles locomoteurs nous proposons un exercice de co-activation musculaire pouvant être évolutif, le « sursaut en squat jump ».
Le point de départ de l’exercice est essentiel, c’est en quelque sorte une « base d’orientation »[6] nous permettant une évolution progressive vers plus de difficulté. Cet exercice générique peut être réalisé régulièrement au cours de la saison, mais il est surtout préconisé en période de développement, en évitant de l’effectuer proche des compétitions ou des séances de qualité importantes (traumatismes excentriques).
Objectif : L’objectif principal de cet exercice générique vise à travailler l’économie de course par un exercice répétitif en co-activation « rigidité-flexibilité » des membres inférieurs.
Réalisation : L’exercice consiste en une répétition de 2 postures en continuité (sursaut permanent):
1. Une extension très rigide du corps (gainé) avec les pieds serrés,
2. Suivie d’une flexion de jambes écarts en « jump squat » (squat partiel) avec un angle de 90° à 100°.
Cet exercice doit être exécuté sur 10 à 20 répétitions consécutives, avec une possibilité de 4 à 8 séries (entrecoupées de 1’ à 2’ de récupération).
Consignes :
• Retomber sur l’avant-pied sur les 2 phases de l’exercice (plante de pied),
• Éviter de faire du bruit à chaque retombée (qui est synonyme de « casse musculaire »),
• Assurer une bonne vitesse d’exécution, sans temps d’arrêts (enchaîner en se servant de la restitution élastique des muscles),
• Ne pas trop écarter les jambes sur la retombée en jump squat (du type « squat sumo »), mais avoir un bon alignement jambes-épaules, et avec les pieds dans l’axe,
• Bien coller les pieds lors de l’extension du corps, avec les jambes très tendues et le corps bien gainé,
• Réaliser cet exercice si possible avec des chaussures très légères.
Cet exemple d’exercice peut être réalisé en complément du renforcement musculaire, et répété toutes les semaines, voire tous les 15 jours dans une programmation.
Variables : il est possible de programmer cet exercice comme une vraie étape de progression et de développement dans l’économie de course, avec d’autres paramètres transversaux comme :
- Un travail en haute intensité de type exercice en mode Tabata (ou 1/2 tabata) sur 20’’ d’effort (12 à 24 reps) et 10’’ de récupération. Pour cela effectuer 3 à 5 séries de 2’ (1/2 Tabata) à 4’ (Tabata) suivant le niveau avec une récupération de 3’ entre les série,
- Une vitesse d’exécution très rapide sur les appuis, surtout en phase d’extension (avant-pied très actif par exemple sur un balance-disc ou un medecin-ball,
- Une diversité de surfaces d’appui : surfaces dures ou instables (BOSU®, Balance Disc), en contre-haut avec un banc ou un step, avec charges lestées dans les mains ou sur le dos, en isocinétisme (retenue élastique).
Avant de réaliser cet exercice, il est nécessaire de posséder quelques prérecquis comme le gainage, la maitrise des suspensions et le travail réactif de l’avant pied (avec un travail de sauts dans les marches ou des foulées bondissantes par exemple). Ce travail en mode complet permet de recruter davantage de fibres musculaires et donc de réaliser une séance intense et efficace.
Références [1] Factors Affecting Running Economy in Trained Distance Runners, Philo U. Saunders et al., Sports Med 2004; 34 (7): 465-485 [2] Terme emprunté à Fred Brigaud dans La course à pied – Posture, biomécanique, performance, Editions Désiris, 2013 [3] Lésions musculaires induites par l'exercice et l'économie de course chez les humains, Assumpção Cde O, Lima LC, Oliveira FB, Greco CC, Denadai BS, Scientific World Journal. 2013 [4] Leg stiffness and stride frequency in human running, Farley CT, Gonzalez O. J Biomech 1996;29:181-6 [5] Le concept architectural, tout autant que la structure humaine peuvent être considérés tous les deux comme des systèmes de tenségrité. La biotenségrité en tant que « science de base » est une connaissance fondamentale de la façon dont le corps fonctionne en tant qu’unité mécanique. Elle applique les principes de tenségrité qui furent d’abord décrits par Kenneth Snelson et Buckminster dans l’art et l’architecture. À ce propos, le stade des jeux olympiques de Pékin à été conçu sur ce principe de tenségrité ou s’équilibrent les forces de compression et de tension. : « Dans cette structure les tiges rigides, en compression, exercent une force de traction sur les éléments élastiques prétendus, qui en réaction entraînent la compression des tiges rigides» (Alain Gehin in «Concept de tenségrité en osthéopathie», Sauramps médical, 2010) [6] La base d’orientation répond à la définition suivante: « C’est un système ramifié de représentations de l’action et de son produit, des propriétés du matériel de départ et de ses transformations successives, plus toutes les indications dont se sert pratiquement le sujet pour exécuter l’action » in Galperine P., Essai sur la formation par étapes des actions et des concepts In Talyzina N., De l’enseignement programmé à la programmation des connaissances, PUL, 1980
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